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charrie encore dans son cours quelques débris des vieilles roches qu’il a arrachés à ses rives ; la pureté de ses eaux est encore troublée par le limon germanique qu’elles transportent. Mais que l’écrivain consente à faire un choix parmi les sensations qui l’assaillent ; qu’il n’en retienne, pour les exprimer brièvement, que celles qui dominent et emportent les autres, et il lui arrivera de dessiner des paysages ou de tracer des portraits dont on ne saurait dépasser la vérité vivante et la force évocatrice.

Tous ceux qui ont senti et goûté la grandeur mélancolique des fins d’automne à Versailles croiront revivre leurs émotions passées en contemplant cette noble toile :


Le tapis du parc varie selon l’essence des arbres et la facilité qu’eut la pluie à le ternir. Quand le sol se bombe ou se rentre, les rayons réfractés avec des angles inégaux y fournissent mille feux non pareils. Parfois, dans le lointain, un bassin de marbre s’offre au bout des charmilles dont l’ombre zèbre le sol. Sur les côtés filent des sentiers étroits entre des haies rigoureusement taillées, et chacun d’eux aboutit à des bosquets où des bancs de Carrare délavé assistent à la chute des feuilles dans l’eau des vasques. De ces ronds-points déserts, huit chemins abandonnés mènent chacun à des solitudes d’où rayonne encore un système d’allées, toujours mélancoliques et de même enchantement, mais plus pressantes à mesure que leurs dédales se multiplient. Les feuilles se détachaient et glissaient en se froissant de branche en branche. Avec le moindre bruit, elles se couchaient, ne voulaient plus que pourrir. Un vent léger se leva qui les entraînait doucement, les faisait rouler comme des cerceaux d’enfants, les poussait jusqu’aux vasques croupissantes où des plombs bronzés, que gâte l’humidité poisseuse, émergent à fleur d’eau. O mort émouvante, formes ambiguës de la décomposition, couleurs liquéfiées où rampent les animaux répulsifs ! Nul passant, rien que la mort et la gamme de ses marbrures...


Veut-on maintenant des portraits, enlevés d’un trait de plume qui flagelle ou qui grave, ou ramassés en quelques lignes, ou amoureusement composés et dressés en pied, ou infatigablement pris et repris et qui s’acheminent à la ressemblance par des retouches successives ? C’est Constans, » avec ce ton bonhomme et cet air de maraîcher qui a des économies. » C’est Rouvier, » avec son aplomb de sanguin fortement musclé, ses larges épaules, son regard de myope qui ne daigne s’arrêter