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qui parle en nous. Que l’influence des ancêtres soit permanente, et les fils seront énergiques et droits, la nation une [1].


Appuyé sur ce fondement solide, M. Barrès espérait rallier à sa doctrine tous les éléments sains de la communauté française. « La Patrie française, disait-il, liera partie avec les patriotes de Déroulède, avec les régionalistes, et avec tous ceux, catholiques ou positivistes, qui veulent une discipline sociale. » Les circonstances, de profondes divergences politiques entre les hommes firent avorter ce mouvement. Ceux-là mêmes qui eussent été tentés naguère de le condamner le plus sévèrement doivent reconnaître aujourd’hui, après l’expérience que nous avons faite de la volonté de guerre allemande, que ces « tumultes français, » boulangisme, nationalisme, ont eu leur raison d’être historique et leur utilité nationale. Trop absorbée dans ses querelles intérieures, endormie dans une sécurité trompeuse par les prédications pacifistes, la France risquait d’oublier le péril militaire qui croissait à sa frontière. Boulangistes et nationalistes l’ont tenue en haleine ; leurs excès mêmes ont entretenu, dans la jeunesse surtout, la flamme sacrée du patriotisme et « le sens de l’ennemi, » et à l’heure voulue, le pays tout entier s’est trouvé moralement prêt. Ses plus violents adversaires doivent aujourd’hui à Déroulède la juste réparation de leur gratitude.

Chose plus essentielle peut-être encore, le nationalisme a entretenu dans la pensée française la méditation du problème alsacien-lorrain. Le mot célèbre de Gambetta : « Y penser toujours, n’en parler jamais, » impliquait une profonde erreur psychologique : les hommes sont ainsi faits qu’ils ne pensent quelquefois qu’aux objets dont ils parlent toujours ; et la formule du grand tribun risquait fort de devenir une emphatique invitation à l’oubli. Il fallait empêcher l’odieuse et impie prescription. M. Maurice Barrès fut parmi les plus ardents à s’y employer. Ses origines mêmes le prédisposaient à cette tâche. Au sortir du « long travail de forage » auquel il s’était livré à ses débuts, il avait retrouvé dans sa petite pairie « la source jaillissante » de sa propre personnalité. Ses souvenirs d’enfance et de jeunesse lui avaient rendu familières toutes les choses de Lorraine et d’Alsace. Chaque année il revenait à Charmes passer de longues semaines dans la maison familiale ; il visitait l’Alsace et la Lorraine

  1. La Terre et les Morts, p. 16-20.