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annexée. Un jour de juin 1899, il avait, sur le champ de bataille de Reichshoffen, rencontré le docteur Bucher, qui, « barrésien « de la première heure, avait voué un culte touchant au maître aimé de sa jeunesse et s’offrit à le guider dans son enquête sur l’âme alsacienne. La collaboration de ces deux hommes fut extrêmement féconde pour l’un et pour l’autre. Bucher dut à M. Barrès, avec d’incomparables encouragements, la révélation de son propre idéal et lactaire conception de son œuvre. Et M. Barrès dut à Pierre Bucher de mieux comprendre, dans sa complexité et sa profondeur, la question d’Alsace-Lorraine. En décembre 1899, il faisait, sous les auspices de la Patrie française, une conférence sur l’Alsace et la Lorraine. Il se défendait d’apporter à ses auditeurs « des déclamations, » mais simplement « un état sincère des gens et des lieux. » « Allons à Metz, » disait-il, et il dépeignait vivement cette ville charmante, » château de la Belle-au-Bois dormant : » « une caserne dans un sépulcre. »


Les femmes de Metz, ajoutait-il, touchent par une délicatesse, une douceur infinie, plutôt que par la beauté. Leur image, quand elles parcourent les rues étroites, pareilles aux corridors d’une maison de famille, s’harmonise au sentiment que communique toute cette Lorraine opprimée et fidèle. Quelque chose d’écrasé, mais qui éveille la tendresse, pas de révolte, pas d’esclaves frémissantes sous le maître, mais l’attente quand même, le regard et le cœur tout entiers vers la France.


Puis l’orateur, par des anecdotes et des faits précis, décrivait la lutte sourde qui, depuis 1871, était engagée à Strasbourg entre l’administration allemande, qui a déclaré une « guerre féroce à la langue, aux habitudes, à tout ce qui est d’essence française, » et une population invinciblement récalcitrante, et qui se venge en apprenant et en sachant mieux le français qu’avant la guerre. Et, généralisant, il retraçait à grands traits « le développement des âmes alsaciennes et lorraines » depuis l’annexion. Tout d’abord, « sous la douleur de la déchirure, » « ce fut la période héroïque et deprotestation. » Le système n’ayant pas produit les résultats positifs qu’on en attendait, on en changea. Ce fut alors la phase de la résistance légale. Les Alsaciens ont pris conscience de la supériorité de leur culture sur la culture germanique, et sans violence inutile,