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l’Appel au Soldat ? A y regarder pourtant d’un peu plus près, il est visible que l’auteur ne s’abandonne pas sans quelques remords à son lyrisme éperdu, à ses émotions un peu troubles et, parfois, malsaines, aux anciens guides de sa pensée et de son art. Et artiste très conscient de ses moyens et de son objet, pour mieux nous signifier que ce livre, s’il n’est pas un démenti, est tout au moins un adieu à son passé, il l’a couronné par une fort curieuse et suggestive méditation, Le 2 novembre en Lorraine, où, résumant tout son développement antérieur, il nous montre « le culte du Moi « aboutissant, nécessairement et logiquement, au culte vivifiant de la terre et des morts et, dans « un vertige délicieux, » « l’individu se défaisant pour se ressaisir dans la famille, dans la race, dans la nation, dans les milliers d’années, que n’annule pas le tombeau. » Sur la « sainte colline nationale « de Sion-Vaudémont il a « trouvé l’apaisement, » il a « compris son pays et sa race, » il a « vu son poste véritable, le but de ses efforts, sa prédestination : »


Voici la Lorraine et son ciel : le grand ciel tourmenté de novembre, la vaste plaine avec ses bosselures et cent villages pleins de méfiances. O mon pays, ils disent que tes formes sont mesquines ! Je te connais chargé de poésie. Je vois sur ton vaste camp des armes qui reposent. Elles attendent qu’un bras fort les vienne ressaisir... Plus que tout au monde, j’ai cru aimer le musée du Trocadéro, les marais d’Aigues-Mortes, de Ravenne et de Venise, les paysages de Tolède et de Sparte ; mais à toutes ces fameuses désolations, je préfère maintenant le modeste cimetière lorrain où, devant moi, s’étale une conscience profonde... Comme furent nos pères, nous sommes des guetteurs. Qu’est-ce que la pensée maîtresse de cette région ? Une suite de redoutes doublant la ligne du Rhin. Ce fut la destinée constante de notre Lorraine de se sacrifier pour que le germanisme, déjà filtré par nos voisins d’Alsace, ne dénaturât point la civilisation latine.


Fortes paroles, et de grande conséquence. Ouvrons, pour nous en mieux convaincre, le livre charmant que M. Barrès a publié, vers le même temps, sous ce titre plein de promesses : les Amitiés françaises. Ce sont, — un sous-titre nous en avertit, — des Notes sur l’acquisition par un petit Lorrain des sentiments qui donnent tin prix à la vie. Ce « petit Lorrain » est le propre fils de l’écrivain, Philippe, celui dont on a bercé l’enfance des récits de 1870, et auquel on a dit : « Les Français