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seront vainqueurs... le jour que tu seras grand. » Il faut noter à ce propos que les fougueux individualistes sont bien rarement d’honnêtes pères de famille ; ils ressemblent tous plus ou moins à leur maître Jean-Jacques qui, pour mieux discuter sur l’éducation, avait commencé par envoyer ses enfants à l’hôpital : n’ayant pas charge d’âmes, ils peuvent prêcher à leur aise, à l’abri de l’expérience et des responsabilités, le culte du moi et le mépris des traditions séculaires. Il en va tout autrement pour les éducateurs dignes de ce nom ; ceux-là veulent armer pour la vie réelle des êtres humains qu’ils rêvent aussi complets que possible ; ils savent quelle tâche complexe, délicate, presque effrayante, est celle qui consiste à élever un enfant ; aux théories toutes faites, aux aventures métaphysiques ils préfèrent l’autorité des faits et la leçon des ancêtres. « Nous ne rêvons pas d’un Eldorado, écrit M. Barrès. Nous ne sommes pas les éternels émigrants qui dessinent au bord d’une mer mystérieuse et sur le sable d’un rivage détesté les épures d’un vaisseau de fuite. Nous sommes des traditionnalistes. Quand toutes les idées entrent en concurrence dans l’âme d’un enfant, je m’applique à favoriser la poussée de ses ancêtres. » Et il conduit son fils sur la côte de Vaudémont, berceau de la légende et de l’histoire lorraine, à Domrémy, à Niederbronn, en Alsace, à Lourdes : il s’efforce de lui mettre dans l’âme de vivantes images françaises, et, en le maintenant dans la droite lignée de ses pères, de lui suggérer « la noble et la seule féconde discipline qu’il nous faut hardiment élire. » « Il s’agit de concevoir une sage économie de nos forces, d’organiser notre énergie et de sortir d’un désordre barbare pour l’accomplissement de notre destin. » Telle est la tradition de la France, celle « qu’il faut maintenir et développer, » « et ce soin suffirait presque à donner un sens à notre activité. » Et certes, cette subordination volontaire du sentiment à la raison implique de réels sacrifices.


Quand je reviens toujours à ma rude Lorraine, croyez-vous donc que j’ignore tant de douceurs, tant de merveilles épandues sur le vaste monde ? Si je m’en liens à Corneille, à Racine, ne distinguez-vous point que j’ai subi comme d’autres, et plus peut-être, ce flot de nihilisme et ces noirs délires que, par-dessus la Germanie, nous envoie la profonde Asie ?... Et, par exemple, croyez-vous qu’on ignore les somptueuses et déchirantes ivresses, tout le vaste flot de