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l’Asie, qu’un Tristan, qu’une Yseult, nous versent à nous submerger ? Leurs philtres m’enivrèrent, me corrompirent, m’allaient dissoudre. Ah ! combien ils me gênent encore ! On ne chasse plus Tristan et Yseult, s’ils mirent un jour leur poison dans nos veines... Voyons clair et, si c’est notre lâche dessein de nous abandonner, livrons-nous à ce flot stérile, à cet appétit du néant. Mais si nous préférons l’allégresse créatrice, la belle œuvre d’art française, rejetons le poison de l’Asie...


Désormais, le choix du poète est fait. Il a renoncé au néant. L’âge, la réflexion, l’expérience, l’action, la paternité ont exercé leur salutaire influence, exorcisé les séduisants et dangereux fantômes dont s’enchantait sa romantique jeunesse ; les « amitiés françaises » ont agi doucement, mais puissamment sur son âme, l’ont définitivement affranchie du lourd tribut qu’elle payait aux divinités d’outre-Rhin. Elle est libre maintenant d’entonner son « chant de confiance dans la vie. »


III

Le Roman de l’énergie nationale appelait une contre-partie. A ces six jeunes Lorrains qui, pour leur malheur et celui de la communauté nationale, avaient déserté leur pays, il fallait en opposer d’autres qui ne commissent pas la même faute. A l’exemple des « déracinés » il fallait substituer celui des « racines dans la terre de leurs morts. » A cet égard, quel cas plus intéressant, plus pathétique même à étudier que celui des Alsaciens-Lorrains qui n’ont pas émigré ? C’est toute la question d’Alsace-Lorraine qui se pose à leur sujet. Question, observons-le, qui n’est pas seulement actuelle, mais éternelle. « Ce grand drame moral n’est qu’une scène dans la longue tragédie qui se joue sur le Rhin entre le Romanisme et la Germanie. » « Les populations d’outre-Rhin ont envahi vingt-huit fois la France... Cette querelle pour la possession du Rhin ressemble assez à la lutte entre le soleil et la pluie qui se perpétue d’alternative en alternative. » Situées face à l’Allemagne, nos deux marches frontières sont les citadelles avancées de la civilisation latine, nos « bastions de l’Est. » Elles ont une mission historique à laquelle M. Maurice Barrès avait longuement et souvent réfléchi et que, depuis plusieurs années, il se proposait de décrire. C’était là « une œuvre à laquelle il se préparait, alors même qu’il ignorait devoir, un jour, l’entreprendre. »