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Ce sera, — écrivait-il en 1901, à propos des Oberlé, — ce sera l’honneur de ma carrière d’écrivain, si je puis quelque jour apporter plus de lumière sur les magnifiques luttes rhénanes, luttes entre les intelligences et dans chaque intelligence. Aux frontières de l’Est, ma petite nation, à travers les siècles, a joué un rôle principal dans cet antagonisme de race où je suis, à mon tour, un modeste combattant. Nous avons filtré les races inférieures. Je ne m’écarte des querelles électorales que pour mieux me préparer à ce devoir difficile de fermer les défilés et de ralentir le flot étranger [1].

Ces « magnifiques luttes rhénanes, » l’écrivain se proposait de les mettre sous nos yeux par une série d’ « épisodes » qu’il publierait successivement. Le premier de ces épisodes, c’est le beau récit intitulé Au service de l’Allemagne.

Le livre doit beaucoup à Pierre Bucher [2] qui a servi de modèle, — de modèle très librement interprété, — pour le portrait du volontaire Ehrmann. Il semble d’ailleurs que ces pages aient tout d’abord un peu surpris les Alsaciens, comme ces photographies qui font douter de la parfaite ressemblance, parce qu’elles mettent en saillie un trait profond, involontaire et insoupçonné, d’une physionomie trop connue. En fait, la ressemblance intérieure était si subtilement attrapée, et, comme toutes les grandes œuvres d’art, le portrait fictif concentrait et exprimait si fortement les tendances intimes, presque inconscientes et inavouées, bref, toute la vie secrète, actuelle et prochaine, du modèle, il en éclairait, il en réalisait si lumineusement les virtualités, que bientôt les volontaires Ehrmann devinrent légion sur la terre d’Alsace. Une fois de plus, la vie se mit à imiter l’art. Et cela, sans doute, parce que l’art est une des forces constitutives de la vie : mais aussi, mais surtout parce qu’en étudiant l’Alsace nouvelle, l’artiste l’avait comprise, devinée et percée de part en part, et lui avait fourni la juste formule de son développement provisoire. » Jean Oberlé, écrivait-il déjà à la fin de son article sur le roman de M. Bazin, Jean Oberlé, généreux garçon que je salue avec respect, voulez-vous être un héros ? Ne quittez point l’Alsace... Demeurez un caillou de France sous la botte de l’envahisseur.

  1. Figaro du 10 novembre 1901.
  2. « Je dirai un jour, comment de nos entretiens acharnés, pleins d’une foi profonde, sortirent mes livres alsaciens et lorrains... » (Discours prononcé par M. Maurice Barrès aux funérailles de Pierre Bucher, L’Alsace du 19 février 1921).