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Subissez l’inévitable et maintenez ce qui ne meurt pas. » Voilà la devise de l’âme alsacienne durant les années qui ont précédé la guerre. Mieux que jamais nous voyons aujourd’hui combien elle était féconde et combien elle a servi la cause de la France.

Les idées abstraites n’ont toute leur action sur les âmes que lorsqu’elles prennent corps et vie en de parlants symboles. C’est à Sainte-Odile que M. Maurice Barrès a eu la claire révélation du « devoir alsacien » et de « sa juste tâche. » Taine était venu à Sainte-Odile, et, dans des pages célèbres, exalté par la beauté du paysage, il avait évoqué la haute et pure figure de l’Iphigénie de Gœthe. Fâcheuse erreur d’un déraciné ! Sainte-Odile se suffit à elle-même : elle ne serait pas la patronne de l’Alsace, si elle n’était pas « le nom d’une victoire latine » et catholique sur la brutalité barbare et germanique. Son histoire, sa légende résument et symbolisent des siècles d’efforts et la continuité d’une même volonté nationale. Cette volonté est plus forte que les changeantes contingences historiques. « Ainsi, de nos jours, il nous faut le même miracle qu’au temps d’Odile, fille d’Adalric. Nous attendons que notre sol boive le flot germain et fasse réapparaitre son inaltérable fond celte, romain, français, c’est-à-dire notre spiritualité... La romanisation des Germains est la tendance constante de l’Alsacien-Lorrain. Telle est la formule où j’aboutis dans mes méditations de Sainte-Odile. »

Mais cette formule générale, comment l’adapter aux circonstances présentes ? Comment traduire dans les faits contemporains « la pensée de Sainte-Odile. » C’est ici qu’intervient l’histoire qui forme le fond du livre Au Service de l’Allemagne. Fils d’un industriel qui, pour ne pas laisser tomber son usine aux mains des Allemands, est resté en Alsace après la guerre, Ehrmann, convaincu lui aussi que son devoir est de ne pas quitter le pays natal, a fait ses études de médecine à Strasbourg, puis il est entré au régiment pour y accomplir comme volontaire ses six mois de service obligatoire. Sa première journée de caserne allemande lui est si dure, qu’il songe à déserter. Mais il se ressaisit, et il mettra son point d’honneur à être un excellent soldat, à s’imposer comme tel à ses chefs, à ses camarades, à leur arracher leur estime et l’aveu de sa supériorité d’Alsacien français. Et peu à peu, à force de patience, d’empire sur soi, de souple adaptation, de dignité et de gentillesse, il sort vainqueur