Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/347

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du duel qui s’est engagé entre le militarisme prussien et son âme irréductible de Français annexé. Le jour de son départ, il est allé prendre congé du maréchal des logis, qu’il trouve en pleurs, au chevet de son unique enfant qui vient de mourir. Il lui serre la main et lui envoie une couronne. Le lendemain, le brave homme fait irruption dans sa chambre, sanglotant, les mains tendues :


— Vous êtes vraiment un grand cœur, monsieur Ehrmann. Au moment où je ne peux plus vous servir de rien ! monsieur, on doit le dire, les Français ont plus d’humanité que les autres.

Il m’a traité de Français ! C’est le dernier mot que j’ai entendu de cette caserne, et l’un de ceux qui, de ma vie, m’auront le plus donné de plaisir.


Cette sorte de tragédie intime est traitée, comme il convenait, à la manière classique. Pas de grands mots, pas d’éclats de voix, pas de considérations théoriques formant longueur. Des faits, de brèves notations psychologiques, une action vive et continue ; quelque chose de net et de souple, de direct et de vigoureusement ramassé qui rappelle les meilleures nouvelles de Mérimée ; une forme dépouillée, rapide, incisive ; une sobriété un peu hautaine, mais puissamment suggestive. Cela est d’un très grand art, fort et fin tout ensemble, et qui s’accorde admirablement avec la donnée morale du sujet traité. Nous voilà assez loin du romantisme d’inspiration et d’expression que l’on pouvait reprocher encore à l’auteur des Déracinés et de la Mort de Venise. Il s’est « romanisé « lui aussi. » Comment ne serais-je point prêt, écrivait-il naguère, à tous les sacrifices pour la protection île ce classicisme qui fait mon épine dorsale ? « Sans rien répudier de ses heureuses acquisitions antérieures, ces sacrifices, il a eu le courage de les accomplir. Il s’est modelé sur son héros. Il a accepté une discipline intérieure. Il a voulu faire sentir à tous ses lecteurs, fussent-ils Allemands, la supériorité ordonnatrice du génie latin. Son œuvre est devenue l’un de nos « bastions de l’Est. »

Quelques années après, il la poursuivait et la complétait en publiant un second « épisode, » Colette Baudoche, Histoire d’une Jeune fille de Metz. » Colette Baudoche, nous dit l’auteur, est la sœur de l’Alsacien Ehrmann. L’un et l’autre, j’ai essayé de les présenter avec les mois les plus unis et sans aucun artifice,