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La déesse m’a donné, comme à tous ses pèlerins, le dégoût de l’enflure dans l’art. Il y avait une erreur dans ma manière d’interpréter ce que j’admirais : je cherchais un effet, je tournais autour des choses jusqu’à ce qu’elles parussent le fournir. Aujourd’hui, j’aborde la vie avec plus de familiarité, et je désire la voir avec des yeux aussi peu faiseurs de complexités théâtrales que l’étaient les yeux grecs... Si la France relève, par l’intermédiaire romain, de la Grèce, c’est une tâche honorable, où je puis m’employer, de maintenir et de défendre sur notre sol une influence civilisatrice... Reste, m’a dit la Grèce, où te veulent tes fatalités... Demeure à l’Orient de la France, avec ta petite nation, à combattre pour ma beauté que tu n’es pas prédestiné à vivre [1].


Ce dégoût de l’enflure, heureuse leçon du génie grec, nous l’avons constaté dans les romans alsaciens de M. Maurice Barrès. Nous le constaterions encore dans le petit livre sur Greco ou le secret de Tolède, ou encore dans la Colline inspirée. Je ne sais, à vrai dire, si, dans ce dernier cas, » son aigre Lorraine « a très heureusement inspiré l’auteur de Colette Baudoche. De bons juges ont regretté le temps qu’il a passé en compagnie de ces trois prêtres schismatiques, que leur mysticisme individualiste a poussés hors de l’Eglise, et dont l’histoire morale est si loin de présenter l’intérêt largement humain qui s’attache, par exemple, à la destinée spirituelle d’un Lamennais ou d’un Luther, d’un Renan, ou même d’un Loyson. S’il y a des sujets qui « portent « un écrivain, assurément ce n’est pas celui-là ; et il semble que le biographe des frères Baillard aurait pu aisément trouver, dans l’histoire religieuse de sa province natale, quelque épisode qui fût plus complètement digne de son talent. N’a-t-il donc jamais été tenté d’écrire une Vie de Jeanne d’Arc [2] ?

Entre temps, la vie d’action l’avait repris dans son engrenage.

  1. Le Voyage de Sparte, éd. originale Juven, p. 278-283. — D« ces déclarations, on peut rapprocher les dernières lignes de la réponse au discours de réception de M. Jean Richepin : « La règle toute seule et défendue avec superstition mène droit au formalisme stérile ; l’indépendance cultivée pour elle-même, c’est la confusion, le caprice, l’incohérence ! Heureux celui qui parvient à conquérir son équilibre entre ces tendances ennemies, qui, sans paralyser aucune de ses puissances de désir, et sans rien négliger de ses réserves héréditaires, ne fait qu’une seule âme des deux âmes qui nous sollicitent tour à tour, une seule âme, à la fois audacieuse et disciplinée. »
  2. On a recueilli en un petit volume intitulé : Autour de Jeanne d’Arc (Paris, Champion, 1916), les articles que M. Barrès a consacrés à la sainte de la patrie.