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qu’à tout autre l’air et le pain. On le voit, ou on croit le voir, parmi les émigrés, à Bâle, en 1794 ; il avait dû se signaler, au temps de la Terreur, comme un habile homme et rendre à la cause royale d’éminents services, qui n’ont pas été révélés, puisque, dès Thermidor, en dépit d’antécédents peu recommandables, Louis XVIII l’élisait son représentant à Paris et lui confiait la direction de sa plus importante agence. Il faut croire que Lemaitre ne prit pas la chose très au sérieux ; même après la défaite de l’insurrection des sections, au 13 vendémiaire, il n’eut pas la précaution de se confiner chez lui ; il fut « cueilli » par un inspecteur de police, au café de Valois, où il venait tranquillement lire les journaux et prendre sa demi-tasse ; on trouva dans la cuisine de son logement, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, à peine dissimulée, mais très bien classée, toute la correspondance de l’agence royale, et Lemaitre, traduit devant une commission militaire, fut guillotiné en place de Grève. Comme il était l’une des très rares victimes de la répression conventionnelle, on estima généralement que ce conspirateur obstiné savait trop de choses ; « chacun souhaitait qu’il disparût pour qu’il n’eût personne à faire rougir ou périr. »

Déjà par ordre du roi de Blankenbourg, une seconde agence fonctionnait à Paris, composée de l’abbé Brotier, du chevalier Despomelles et de Duverne de Praile, tous trois collaborateurs du malheureux Lemaitre. Brotier, helléniste réputé, éditeur de Plutarque et du Théâtre des Grecs, quoique extrêmement ferré sur la morale d’Epictète, n’avait point peut-être les qualités de discrétion et de prudence qu’exigeait la délicate mission de représenter à Paris la monarchie proscrite. Il passait pour être disputailleur et inconséquent ; l’abbé Maury disait de lui : « S’il ne s’agit que de tout brouiller, on ne pouvait trouver mieux que l’abbé Brotier ; il désunirait les légions célestes. » Despomelles, ancien maréchal de camp, était plus ordonné : mais il vivait à Bourg-la-Reine et s’occupait presque exclusivement de diriger une vaste association, qui, sous le nom d’Institut philanthropique, étendait ses ramifications dans toute la France. Despomelles se faisait illusion sur la puissance de cette société secrète ; il était, écrit Mallet du Pan, « de ces hommes qui voient des clochers dans la lune. » Duverne de Praile, ancien officier de la marine royale, émigré rentré et