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de Prémilon, servant de secrétaires à l’agence ; — Bénard, employé dans les bureaux du Directoire, un des « corrompus, » sans doute, qui s’est offert pour conquérir Barras à la cause royale ; — le baron allemand Léonard de Poli, éclopé à béquilles chargé spécialement d’enrôler de « bons garçons » pour le coup décisif ; — Dandré, l’ex-constituant, inféodé à l’Angleterre « et à tous les partis qui peuvent payer, » homme d’une laideur repoussante, mais d’une pénétrante sagacité et qui fait sa fortune à servir un Roi sans royaume ; — Jouve, autre « corrompu, » chef de bureau au ministère de l’Intérieur, acquis au parti monarchique ; — un chanteur populaire, Ange Pitou, tour à tour et sans cesse arrêté, mis en liberté, hué, applaudi et chantant toujours ses vaudevilles aux carrefours ; — un grand seigneur, le prince de Carency, jeune débauché sceptique et séduisant qui, en sa qualité de fils du duc de la Vauguyon, premier ministre de Louis XVIII, est le confident de tous les secrets de la conspiration ; — un pauvre abbé normand, Julien-René Leclerc, qui vit depuis quatre ans, tantôt caché dans les fourrés du bois de Vincennes, tantôt à Paris même, exerçant « l’emploi simulé » de clerc de procureur ; signe caractéristique : un œil vairon ; — un tailleur à façon, mué pour la circonstance en « homme de loi ayant patente de commissionnaire » et nommé Béranger-Mersix : il est l’un des dépositaires des fonds de l’agence, et son petit garçon, âgé de dix ans à cette époque, se rappellera plus tard que son père l’employait à porter aux conjurés de l’argent, « dont ceux-ci, disait-il, paraissaient user plus pour leurs besoins particuliers que pour l’accomplissement de leurs projets. » Ce petit garçon deviendra le chansonnier Béranger.

L’or anglais coulait à flots, en effet ; le chargé d’affaires en Suisse du cabinet britannique, Wickham, se tenait en relations constantes avec l’agence au moyen d’un émissaire « probe et roué » appelé Bayard. C’était le moment où les commissaires royaux estimaient si bien préparées les voies de la Restauration qu’ils souhaitaient tenir sous la main, à Paris, un prince de la famille royale tout prêt à cueillir la couronne. Louis XVIII réservait cette tâche facile et glorieuse à son neveu le duc de Berry, alors âgé de dix-neuf ans. L’un des membres de l’agence, Duverne de Praile, avait entrepris le voyage d’Angleterre afin de préparer l’entrée en France du jeune prince : il répondait de la tête de celui-ci comme de la sienne : il le conduirait