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par la Hollande et la Belgique jusqu’à Saint-Omer ; de là il gagnerait avec lui les environs de Paris, lui procurerait une carte de sûreté pour entrer dans la ville où vingt abris sûrs devaient s’ouvrir, afin de recevoir l’avant-coureur du Roi. La chose était donc décidée et Duverne revenait de Londres, fier d’un autre succès : il avait décidé les ministres anglais à verser 300 000 francs par mois à l’agence, plus 188 000 francs « pour habiller les troupes royales ! »

Et voilà que tout s’effondre en une demi-heure. Le 31 janvier 1797, Duverne, Brotier et La Villeurnoy, fidèles à leur mission de « gagner habilement les officiers, » se sont rendus chez le chef d’escadron Malo qu’ils se flattent d’avoir circonvenu et avec lequel ils ont pris rendez-vous à l’Ecole militaire qu’il habite et où sont casernés ses dragons. Malo a caché deux de ces hommes sous les matelas de son lit : il reçoit les naïfs conspirateurs qui n’ont déjà plus de secrets pour lui ; ils lui exhibent, sans nulle méfiance, les pleins pouvoirs qu’ils tiennent de Sa Majesté Louis XVIII et dont ils ont pris grand soin de se munir. Aussitôt ils sont tous les trois happés par les soldats, conduits au bureau Central, puis à la Tour du Temple redevenue depuis peu prison d’État. L’agence royale de Paris avait vécu. L’effet de cette arrestation fut, pour le petit monde de comparses qui gravitaient autour d’elle, celui d’un coup de bêche dans une fourmilière ; chacun courut au plus pressé ; le chevalier Despomelles, le seul des commissaires royaux qui fût encore en liberté, eut le temps de détruire les plus compromettantes des pièces conservées dans les archives ; la sœur de Duverne de Praile brûla en hâte d’autres papiers ; Carlos Sourdat s’empara des brevets signés en blanc par le Roi et des portraits de Louis XVIII destinés à la propagande ; quant au pauvre abbé Leclerc, l’homme à l’œil vairon, il escamota les dossiers de Brotier et les croix de Saint-Louis que les commissaires royaux avaient le droit « de fabriquer et de distribuer. » La police s’empara donc seulement des pièces que les conjurés ne parvinrent pas à détruire, et il arriva ceci, qui est vaudevillesque : au nombre des écrits saisis se trouvait une noble et généreuse proclamation de Louis XVIII que l’agence avait été fort empêchée de répandre : cette proclamation fut publiée au Moniteur, et reproduite dans nombre de journaux ; le retentissement en fut immense et le chevalier Despomelles pouvait, sans