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expédient : la monarchie comptait en France trop de partisans pour que le Roi n’eût point, à Paris même, un représentant presque officiel : les prisonniers du Temple désignèrent donc à l’honneur périlleux de leur succéder l’abbé d’Esgrigny.

Ancien vicaire général de Mgr de Cicé, archevêque de Bordeaux, l’abbé d’Esgrigny, émigré en 1792, ayant fait partie de l’expédition de Quiberon, s’étant soustrait à la fusillade par un subterfuge ingénieux, erra durant un an dans la Vendée et en Anjou. C’est là que vint le trouver l’avis de se rendre à Paris pour y remplir une mission importante. Il se dirigea vers la capitale, toujours se cachant, réussit à passer les barrières, se présenta chez Rochecotte et prit l’intérim de l’agence. Mais la tâche était trop nouvelle pour ce pauvre prêtre depuis si longtemps vagabond : et l’abbé d’Esgrigny, tiraillé et déçu, s’efforçait à se dérober. On en était là à l’approche de Fructidor : la légèreté, les divisions, l’imprudence, les querelles, les irréductibles illusions des royalistes avaient compromis cette institution que nul ne prenait au sérieux, et cela précisément à l’heure où la France, lassée de désordres et d’intrigues, appelait de ses vœux un gouvernement fort, honnête et stable qui lui rendit son calme bonheur depuis tant de mois aboli.


Le tableau serait trop incomplet si n’y figurait pas, au moins par spécimens, la foule d’émissaires utiles ou encombrants, de besoigneux plus doués d’aplomb que d’adresse, de contre-révolutionnaires sincères et ardents, de mystificateurs, d’étourdis, d’utopistes qui, par dévouement réel ou par intérêt, mettaient spontanément au service du Roi et de ses agences leur zèle souvent brouillon et compromettant. Bon nombre de royalistes, accoutumés depuis des années à la vie aventureuse de la Chouannerie, retrouvaient, en ces équipées, « l’espèce de satisfaction » d’aller de cache en cache et de vivre de cette existence de romanesques dangers « dont les hommes de ce parti avaient une si longue habitude. » Ils s’exposaient à la mort, à la déportation ou, tout au moins, à l’emprisonnement ; mais il semble que ce risque était pour eux un attrait de plus : cette lutte de ruses avec la police aiguillonnait leur activité.

Au premier rang de ceux dont on retrouvera les noms au cours de ce récit, il faut citer l’abbé de La Marre : « quarante à quarante-cinq ans, grand bel homme, cheveux noirs poudrés,