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fier-à-bras ; on l’accusera, sans preuve, de l’assassinat des plénipotentiaires de Rastadt ; il menacera de débarquer à Paris et « d’enlever » le Directoire ; plus tard, il parlera d’escamoter Napoléon. Les bulletins de police font de lui un épouvantail ; puis, comme il n’entreprend rien, on l’oublie.

La monarchie proscrite n’avait pas que des partisans de cette sorte : beaucoup d’hommes modérés et sages lui restaient obstinément fidèles et la servaient activement, mais sans fracas : tels Imbert Colomès, l’ancien premier échevin de Lyon : Camille Jordan, autre Lyonnais, d’une droiture et d’une pureté modèles ; le vieux président du parlement de Besançon, de Vezet ; Précy, le héros malheureux de l’insurrection lyonnaise contre la Terreur, et nombre d’autres dont la coopération, quoique plus efficace que celle des tapageurs, resta volontairement effacée. On peut même assurer qu’ils ne considéraient pas sans tristesse la vaine agitation de tant d’étourdis, voire de tant d’imposteurs avérés que la misère incitait à guigner le succès éventuel de la cause royale comme une spéculation profitable, et qui s’y consacraient « à corps perdus, » d’autant plus bruyants et prometteurs qu’il ne se sentaient pour talent que leur audace, pour préparation que leur besoin de se signaler ou de soutirer quelques louis : — « des fantômes dans les ténèbres, » écrivait d’eux Mallet du Pan. Ceux-ci sont légion : on les reconnaît tout d’abord à une disproportion flagrante entre l’énormité de la tâche qu’ils s’offrent à remplir et la modicité du salaire qu’ils mendient : comme cet inconnu qui, moyennant 720 francs, prétendait acheter les cinq Directeurs et les amener soumis et repentants aux pieds du Roi ; — ou cet autre qui, plus tard, sollicite l’envoi de douze louis qui lui sont nécessaires pour rallier Bonaparte au parti des Bourbons ; — ou ce troisième, médecin au pays de Gex, qui, à très bas prix, propose au prince de Condé « d’introduire la peste en France. » Hors les quémandeurs atteints de folie manifeste ou les fanatiques offrant leurs poignards, Louis XVIII ne rebute personne ; il répond à tous ; non point qu’il imagine tirer jamais parti de ces extravagances ; mais il ne veut décourager aucun dévouement, si obscur et si saugrenu soit-il. Quoique chacune des heures de son exil lui apporte une leçon, et qu’il acquière peu à peu « cette grande vertu royale « dont par le Casanova « et qu’on nomme la dissimulation, » il demeure crédule à tout ce qui le flatte. Il est