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entouré de conseillers méfiants dont l’affection le devrait mettre en garde : d’Avaray veille à écarter les indiscrets ; le duc d’Havre a montré le danger d’employer des personnes « qui, jouissant de peu de crédit, compromettent à la fois ceux qu’ils servent et ceux qui les secondent ; » mais eux-mêmes, par amour pour leur maître, écoutent les dupeurs dont les vantardises bercent leurs illusions. Qu’importent, au reste, ces vilenies ? Louis XVIII se sait armé d’une force qu’aucune puissance humaine ne peut entamer ni détruire : son « droit. » Il est sans ressource et sans asile ; il n’a pas de quoi vêtir ses valets ni garnir sa table ; mais il est le Roi de France ; c’est parce que personne au monde ne peut lui ravir ce titre que les guerres sévissent et que tous les trônes sont ébranlés. Quels que soient les hommes qui usurperont sa place, tyrans redoutés ou conquérants invincibles, ils ne seront jamais que des aventuriers et des éphémères. Lui-même ne peut pas vouloir qu’il en soit autrement ; sa disparition ne changerait rien à cette imprescriptible préordination ; sa mort ne serait qu’un incident sans portée : et c’est là sa pensée constante, sa religion, sa foi, sa certitude. Le jour où il quitta l’armée de Condé, à Dillingen, dans la Forêt-Noire, comme la balle d’un assassin demeuré inconnu avait effleuré son front, et que son entourage épouvanté manifestait ses craintes et son indignation, quelqu’un dit : — « Une ligne plus bas pourtant ! — Eh bien ! fit Louis XVIII, le Roi de France se fût appelé Charles X. » Telle était toute sa politique, et l’habileté des plus experts diplomates, la formidable puissance des armes, devaient rester sans prise contre ce roc inattaquable.


Ce succinct exposé des moyens et du personnel dont le parti royaliste disposait est nécessaire à l’intelligibilité des incidents qui vont suivre : sans ce préambule, on serait en droit de s’étonner que, débarquant à Augsbourg, parmi les émigrés, Fauche-Borel fût pris un seul instant au sérieux. Il y retrouvait toutes les « fortes têtes » du parti, composant ce qu’on appelait « l’agence de Souabe, » — Précy, de Vezet, Imbert Colomès, Dandré, — sans parler d’un certain nombre de « fructidorisés » groupés là pour garder le contact avec Wickham, le grand distributeur des millions de l’Angleterre. Ces gens, sagaces pourtant, avaient tous été en rapport avec tant de visionnaires ou