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eut pour origine cette rencontre dans un village d’Alsace où, pour la première fois, quelqu’un l’incita impunément à trahir son devoir. L’a-t-on assez pourchassé à lui offrir des millions, des châteaux de rêve, à lui promettre la reconnaissance du monde, à lui persuader que l’honneur même lui commandait la désertion ! L’a-t-on assez grisé de fallacieuses paroles et d’illusions flatteuses ! Tout cela pour aboutir à cette flétrissure du trépas volontaire et de l’inhumation clandestine.

Les quarante-cinq accusés du grand procès qui s’ouvrit en mai quittèrent le Temple pour la Conciergerie ; le 9 juin l’arrêt était rendu : vingt-et-un furent acquittés, dix-neuf étaient condamnés à mort ; la peine de sept d’entre eux fut commuée ; ils devaient avec les cinq autres, punis de deux ans de prison, traîner de geôle en geôle jusqu’à la chute de l’Empire récemment institué. Quant à Fauche-Borel, soit que le suicide de Pichegru eût rendu inutile sa comparution devant le tribunal, soit que la police estimât opportun de ménager cet étourneau prétentieux et bavard, il fut extrait du Temple et expédié à la prison de la Force, parmi les détenus de droit commun. La Force était un cloaque sordide et infamant : mais de ce transfèrement, le libraire souffrait plus dans son orgueil que dans ses aises : et c’est bien là-dessus que l’on comptait.

Cette police consulaire, encore que, depuis près de deux ans, elle ne fût pas officiellement sous la direction de Fouché, conservait les traditions de la forte organisation dont il l’avait armée, alors qu’il en était le chef. Elle continuait ses errements et ses procédés : d’ailleurs, il est avéré que, même durant son interrègne, il exerçait sur cet important service l’autorité occulte d’un créateur. Les deux acolytes éminents dont il avait fait choix et qu’il allait conserver durant toute la durée de son second ministère, Real et Desmarest, avaient été dressés à son école et s’inspiraient de ses leçons. L’un et l’autre sont de ces gens dont on peut dire, comme du « fameux cardinal, » qu’ils ont fait trop de bien pour en dire du mal et trop de mal pour en dire du bien. Ainsi que Fouché lui-même, ainsi que tous ceux qui disposent en maîtres de la vie et de la liberté de leurs contemporains, ils ont eu des détracteurs acharnés et des apologistes fervents. Real qui, au dire des uns, était de figure « irrégulière, mais charmante d’expression et éclairée par un regard bleu, lucide et transparent, » avait, selon d’autres « une