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tête de chat-tigre qui restait toujours présente à la mémoire, quand on l’avait une fois aperçue. » Tous s’entendent à lui accorder infiniment d’esprit et de malice ; il était « tout police des pieds à la tête. » D’après Pasquier, qui le connut bien, « il n’avait pas le cœur aussi mauvais que pouvait le faire supposer une sorte de jovialité qui ne l’abandonnait jamais, même dans l’exécution des mesures les plus rudes... Il interrogeait les prévenus sur un ton de dureté et d’ironie tout à fait inconvenant. » Mais il lui arrivait parfois de « témoigner des sentiments généreux exprimés avec une sensibilité expansive. » Il fut, jusqu’à la rentrée de Fouché au pouvoir, le directeur de la police sous l’autorité du Grand Juge. Desmarest, son sous-ordre, chef de la division de la sûreté générale et de la police secrète, prêtre défroqué, naguère jacobin bruyant, habile homme d’affaires et, pour tout dire, assez déclassé, était « intelligent, prudent et habile. » Homme d’ordre et de probité, il avait, a dit Sainte-Beuve, « cette gravité, cette discrétion qui prouvent l’honnête homme... » à moins que, comme d’autres l’ont assuré, il ne fût « étranger à toute délicatesse... ne répugnât à aucune trahison, employant sa profonde et criminelle habileté à devenir... l’instigateur des plus odieuses mesures. » Au vrai, l’habitude l’avait rendu, sinon impitoyable, du moins insensible : il excellait dans les interrogatoires, trompant les malheureux qui tombaient entre ses mains, par une allure bonasse et presque de camaraderie, » les désorientant, les déroutant, les désarçonnant par des questions insidieuses « et les servant à la justice merveilleusement « cuisinés » et, en même temps, persuadés qu’ils avaient trouvé en lui un soutien, voire un défenseur. Fauche-Borel devait tomber dans ce panneau-là

Real et surtout Desmarest commandèrent durant toute la durée de l’Empire l’armée « ténébreuse et bigarrée » de la police secrète. Plusieurs milliers de cartons d’archives témoignent de leur perspicace activité : il y a là de quoi fournir pendant des siècles les chroniqueurs de sujets singulièrement variés : drames, parfois affreux, où jouent leur rôle des odieux espions, des naïfs pris au piège, des magistrats implacables, des femmes hardies et rusées. Les dissensions politiques ont de vilains dessous. Certes, la fusillade et la guillotine sont trop, souvent la conclusion des questionnaires si facétieux de Real et si enlaçants de Desmarest ; mais, respectueux du précepte