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de Fouché, ils ne veulent pas de parti pris « la mort du pécheur : « ce qui leur importe avant tout, c’est « d’être renseignés. » Leur rabat-on quelque chouan, quelque émissaire d’une de ces agences royales dont on a essayé d’esquisser le fonctionnement, ils ne leur laissent de répit qu’après les avoir confessés, vidés de tout ce qu’ils peuvent connaître : si le pauvre homme éperdu, séduit, terrifié, affolé par les promesses et les menaces, résiste encore et répugne à livrer ses secrets, il « marinera » dans un cachot, supprimé du monde, se croyant oublié, jusqu’au jour où, n’en pouvant plus, il consentira à livrer ses amis. Comme ce boueur enrichi qui, pour que ses fils ne rougissent pas de son ancienne profession, exigeait, avant de les doter, qu’ils se plongeassent jusqu’au cou en un tonneau rempli de fange, Réal et Desmarest imposaient à leurs patients « un bain de police « et une épreuve de forfaiture ; ils y gagnaient de tenir à jamais le malheureux par la preuve de sa félonie forcée, soigneusement conservée à son dossier, et de pouvoir, à leur fantaisie, le discréditer aux yeux de son parti. Combien, et des plus nobles, et peut-être des plus braves, qui auraient courageusement subi, sans un aveu, les tortures physiques, ne supportèrent pas sans faiblir cette torture morale. Des noms éclatants de notre histoire étaient devenus ainsi des noms de traîtres ; on doit les taire et se borner à citer les plus obscurs : Bayard. le courrier de Wickham, — l’ancien précepteur des ducs d’Angoulême et de Berry, François, dont les noms ont déjà figuré dans ce récit, passèrent ainsi du service des princes à celui de Fouché ; Dubouchet, chef d’une agence royaliste de la Provence, après avoir mérité le sobriquet de Cadoudal du Midi, fut enrôlé parmi les mouchards de Desmarest ; Alphonse de Beauchamp, gentilhomme désemparé, devint, lui aussi, « l’un des rouages de la formidable machine ; » d’autres, comme Rivoire ou Vernègues, transfuges du camp royaliste, « moutonnaient » pour Réal dans les prisons ; le pur et chevaleresque Carlos Sourdat, l’ancien agent de Brotier et de La Villeurnoy, rallié à force de harcèlements, suppliait qu’on l’envoyât à l’armée et n’obtint de porter l’uniforme qu’après avoir « donné des gages » de sa contrition.

Fauche-Borel eut moins de résistance ; après trois jours passés dans l’abjection de la prison de la Force, il était, pour emprunter un mot au vocabulaire de la police, « cuit à point. »