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puissance. Veyrat lui aussi était Genevois ! nul doute qu’il ne s’entremit avec empressement à obtenir la libération sollicitée. De ces rencontres et de ces démarches aucune trace ne subsiste aux dossiers : on en est réduit aux Mémoires de Fauche-Borel qui, sur ces incidents, est, par trop rare exception, singulièrement laconique et dont le récit témoigne même de quelque embarras. Bref, grâce à l’action combinée du ministre de Prusse et d’un policier redouté, Fauche vit enfin s’ouvrir les portes de sa prison après trente et un mois de détention. L’arrêté ordonnait qu’il serait conduit par la gendarmerie jusqu’à la frontière et déposé sur le territoire de Sa Majesté prussienne. Son frère et le concierge Fauconnier lui-même, qui avait eu le temps de s’attacher à son prisonnier, l’accompagnèrent jusqu’à Saint-Denis, première étape du long trajet ; là le libraire fut lié d’une corde dont deux gendarmes enroulèrent à leur poignée les extrémités, et on se mit en route, à pied : telle était l’étiquette du voyage « par la correspondance, » c’est-à-dire de brigade en brigade. Le soir venu, on déposait pour la nuit, dans une prison de village, l’infortuné libraire, dont la délicatesse souffrait grandement de ce régime. A Laon, il obtint de la complaisance du brigadier de gendarmerie une chaise de poste ; il traversa Namur, Aix-la-Chapelle, passa le Rhin et arriva enfin, le 6 mars, à Wesel, hors du territoire de l’Empire : il était entré en France, deux ans et demi auparavant, agent royaliste : il en sortait espion aux gages de Fouché.

Il semble bien qu’il ne comprit pas, dès l’abord, la gravité et le danger de cette évolution. On l’eût bien étonné en l’avertissant qu’il avait rivé une chaîne dont il ne se déchargerait pas aisément. Il ne pouvait raisonnablement se flatter de l’avoir rompue par le seul fait de passer la frontière : la police de Réal et de Desmarest étendait ses tentacules sur toute l’Europe et nul de ceux dont elle avait à se plaindre, fussent-ils à Berlin, à Rome ou à Vienne, n’échappait à son étreinte... « Toute la Suisse, l’Allemagne, la Prusse, le Danemark étaient sous l’influence de Bonaparte, à tel point qu’il eût suffi d’un mot de son ambassadeur auprès d’une de ces Puissances pour nous faire ramener en France prisonniers, » écrivait un chouan évadé des geôles de l’Empire. Or l’arrivée de Fauche-Borel en Prusse était déjà signalée de Paris à M. de la Forest, l’ambassadeur de