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du traître, qui était son pourvoyeur de pots-de-vin. Mais je suis prêt à croire que, par haine du grand-duc Nicolas et par calcul politique, il a contrecarré, sous main, les plans du Haut-Commandement. C’est à son inertie voulue et à ses dissimulations conscientes qu’est due la crise des munitions, cause des premiers désastres.


Arrivant de Bergen par Christiania, Stockholm et Tornéo, Viviani, Mme Viviani et Albert Thomas débarquent, un peu avant minuit, à la gare de Finlande.

Ces vingt-deux mois écoulés ont sensiblement marqué Viviani, qui en paraît plus grave, plus digne, plus contenu. Mme Viviani porte, sur son visage calme et pur, l’empreinte d’un deuil inconsolable, — le deuil d’un fils né d’un premier mariage et qui fut tué au début de la guerre. Albert Thomas, que je ne connaissais pas, respire la santé physique et morale, l’énergie, l’intelligence, l’entrain.

J’accompagne mes voyageurs à l’hôtel de l’Europe, où ils sont hébergés par la Maison de l’Empereur. Un souper leur est préparé.

Tandis qu’ils se restaurent, Viviani m’expose l’objet de leur mission :

— Nous sommes venus, me dit-il en substance : 1° constater les ressources militaires de la Russie et chercher à les développer ; 2° insister pour l’expédition de 400 000 hommes en France par envois successifs de 40 000 ; 3° presser Sazonow afin que l’État-major russe se montre plus accommodant à l’égard de la Roumanie ; 4° essayer d’obtenir quelque promesse en faveur de la Pologne.

Je réponds : Sur le premier point, vous vous ferez vos impressions à vous-mêmes ; je crois que vous ne serez pas mécontents du travail accompli depuis quelques mois, surtout par l’Union des Zemstvo et le Comité industriel de guerre. Quant à l’expédition des 400 000 hommes, le général Alexéïew s’y est toujours refusé, en alléguant que le nombre des réserves instruites dont dispose l’année russe est tout à fait insuffisant par rapport à l’immensité des fronts, et il a convaincu l’Empereur ; mais, en insistant, vous obtiendrez peut-être l’envoi de quelques brigades. Quant à la Roumanie, vous trouverez Sazonow et le général Alexéïew tout acquis à vos idées ; mais la difficulté n’est pas ici : elle est à Bucarest. Enfin, quant à la Pologne, je vous conseille