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d’ajourner toute conversation jusqu’à la veille de votre départ ; vous jugerez vous-même alors si le sujet peut être abordé ; j’en doute.



Samedi, 6 mai.

Après un déjeuner intime à l’Ambassade, nous partons, Viviani, Albert Thomas et moi, pour Tsarskoïé-Sélo.

Pendant le voyage, Viviani a l’air soucieux ; il est visiblement préoccupé de l’accueil que Nicolas II réserve aux demandes qu’il a mission de lui présenter. Albert Thomas, au contraire, se montre joyeux, plein de verve, tout amusé par l’idée de comparaître devant l’Empereur. Il s’écrie : « Ah ! mon vieux Thomas, tu vas donc te trouver face à face avec Sa Majesté le Tsar autocrate de toutes les Russies !... Quand tu seras dans son palais, ce qui t’étonnera le plus, ce sera de t’y voir. »

A la gare de Tsarskoïé-Sélo, deux voitures de la Cour nous attendent. Je monte dans la première avec Albert Thomas. Viviani et le maître des cérémonies, Tiéplow, qui nous accompagnent, occupent la deuxième.

Après un silence méditatif, Albert Thomas m’insinue :

— Il y a quelques personnes que je voudrais bien rencontrer pendant mon séjour à Pétrograde... oh ! très discrètement. Mais je serais gêné vis-à-vis de mon parti, si je rentrais en France sans les avoir vues. Il y a Bourtzew d’abord.

— Oh !

— Il s’est très bien conduit pendant la guerre ; il a tenu un langage très patriotique aux camarades français et russes.

— Je le sais. Et c’est l’argument dont je me suis surtout servi pour obtenir son retour de Sibérie, quand le Gouvernement m’a chargé, l’an dernier, de cette commission délicate. Mais je sais aussi qu’il a toujours l’idée fixe d’assassiner l’Empereur... Or, veuillez vous rappeler à qui je vais vous présenter dans un instant. Regardez cette belle livrée rouge sur le siège. Et vous comprendrez que votre idée de rencontrer Bourtzew me séduise médiocrement.

— Alors, cela vous paraît impossible ?

— Attendez la fin de votre séjour. Nous en recauserons.

Devant le Palais Alexandre, un grand mouvement d’équipages. Toute la famille impériale, qui est venue saluer l’Impératrice pour sa fête, reprend le chemin de Pétrograde.