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L’Empereur, que ses ministres n’ont pas habitué aux prestiges de l’éloquence, parait ému ; il promet de « faire tout le possible » pour développer les ressources militaires de la Russie, l’associer encore plus intimement à l’effort de ses alliés. Je prends acte de ses paroles. Et l’audience est finie.

Vers quatre heures, nous rentrons à Pétrograde.



Lundi, 8 mai.

Déjeuné chez Mme Sazonow avec Viviani, Mme Viviani et Albert Thomas. Les autres convives sont le Président du Conseil et Mme Sturmer, le Ministre des Finances et Mme Bark, le Ministre de la Guerre, le Ministre de la Marine, etc.

Le déjeuner se passe bien. Viviani cause agréablement ; Mme Viviani ne peut qu’éveiller la sympathie par sa physionomie douloureuse ; Albert Thomas plaît par sa bonne humeur et la vivacité de son intelligence.

Après le déjeuner, les groupes se forment ; on parle d’affaires.

Un instant, j’aperçois Albert Thomas en colloque avec Sturmer. Je m’approche et j’entends :

— Vos usines ne travaillent pas assez, dit Albert Thomas ; elles pourraient produire dix fois plus. Vous devriez militariser vos ouvriers.

— Militariser nos ouvriers ! s’écrie Sturmer... Mais nous soulèverions toute la Douma contre nous !

Ainsi devisaient, en l’an de grâce 1916, les représentants les plus qualifiés du socialisme français et de l’autocratisme russe !



Mardi, 9 mai.

Viviani et Albert Thomas, qui partent cet après-midi pour le Grand-Quartier général, viennent déjeuner à l’Ambassade, avec Mme Viviani. Je n’ai convié personne autre ; car, après leur avoir tant parlé de la Russie, je voudrais qu’ils me parlent un peu de la France, dont je suis éloigné depuis deux ans.

Tout ce qu’ils me racontent de l’âme française est superbe et me remplit de confiance. Mais que de médiocrités, que de petitesses dans le monde politique ! C’est à croire que le Palais Bourbon oublie parfois que nous sommes en guerre. Si cruel que soit l’exil, j’y aurai du moins gagné de ne voir la France