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que dans le recul où la verra l’Histoire, dans son aspect glorieux et sublime.



Mercredi, 10 mai.

Mon nouveau collègue d’Amérique, Romuald Francis, qui succède au sympathique Marye, vient me faire sa première visite.

Après l’échange des banalités protocolaires, j’essaie d’amener mon visiteur à parler de la guerre, à s’expliquer sur les intentions de son pays. Mes efforts restent vains. Francis se dérobe ou ne laisse tomber que des phrases insignifiantes, d’où je conclus que la conscience américaine est encore insensible aux grands intérêts moraux qui se débattent dans le monde...



Jeudi, 11 mai.


Viviani revient du Grand-Quartier général, tandis qu’Albert Thomas est allé visiter des usines en province.

Il n’est qu’à demi satisfait de son voyage. L’accueil qu’il a reçu du chef d’État-major général a été froid ou, du moins, réservé, ce qui ne me surprend pas. Le général Alexéïew est un réactionnaire farouche, un passionné de la tradition et de la hiérarchie, de l’autocratisme et de l’orthodoxie. L’intrusion d’un civil dans les affaires militaires, et quel civil !... un socialiste !... doit naturellement lui paraître un scandale abominable.

Pour engager la conversation, Viviani lui a remis une lettre personnelle du général Joffre, en le priant de la lire immédiatement. Le général Alexéïew l’a lue, sans un mot d’observation.

Viviani a repris :

— M. le général Joffre m’a chargé, en outre, d’une confidence verbale pour Votre Excellence. Il espère pouvoir entreprendre, du 1er au 15 juillet, une opération de large envergure ; il serait heureux si, de votre côté, vous pouviez prendre l’offensive, au plus tôt le 10 juin, afin qu’il ne s’écoule pas plus d’un mois entre les deux attaques et qu’ainsi, les Allemands n’aient pas le temps de transporter des renforts d’un front vers l’autre.

Le général Alexéïew a répondu brièvement :

— Je vous remercie ; je traiterai la question avec M. le général Joffre, par l’entremise du général Gilinsky [1].

  1. Représentant du Haut-Commandement russe au Grand Quartier général français.