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encore vive parmi les moujiks. Et cela explique le succès personnel que Nicolas II est assuré d’obtenir lorsqu’il entre en contact direct avec les paysans, les soldats et les ouvriers.

Réciproquement, le peuple est plus que jamais convaincu que les bureaucrates, les tchinovniks, trahissent ou paralysent toutes les bonnes intentions du monarque. Jamais on n’a plus souvent répété ces deux proverbes :

« Le Tsar est bon ; ses valets sont méchants. »

« L’Empereur dit oui ; mais son petit chien aboie non. »



Mardi, 30 mai.

La comtesse N..., amie de Mme Wyroubow, m’a prié mystérieusement de venir prendre le thé. Après m’avoir fait promettre le secret, elle me dit :

— Je crois que Sazonow va être renvoyé et j’ai voulu tout de suite vous prévenir. Il est très mal vu des Majestés. Sturmer mène contre lui, dans l’ombre, une campagne très vive.

— Mais qu’a-t-il à lui reprocher ?

— Il lui reproche ses idées libérales et ses ménagements pour la Douma. Il lui reproche encore, — mais vous m’avez promis le secret ! — de subir beaucoup trop votre influence et celle de Buchanan... Vous savez que, malheureusement, l’Impératrice déteste Sazonow ; elle ne lui pardonne pas son attitude envers Raspoutine, qu’il traite d’Antéchrist, alors que Raspoutine affirme, au contraire, que Sazonow est marqué du Diable.

— Mais Sazonow est la piété même !... Et l’Empereur, que dit-il ?

— En ce moment, il est tout à fait dominé par l’Impératrice.

— C’est de Mme Wyroubow que vous avez appris cela ?

— Oui, c’est d’Annie... Mais, de grâce, n’en dites rien à personne !



Mercredi, 31 mai.

Depuis l’avènement de Sturmer, l’autorité de Raspoutine s’est beaucoup accrue. Le moujik thaumaturge tourne, de plus en plus, à l’aventurier politique et à l’escroc. Une bande de financiers juifs et de spéculateurs tarés, Rubinstein, Manus, etc., ont lié partie avec lui et le rémunèrent généreusement. Sur leur indication, il envoie des notes aux ministères, aux banques, à