Dimanche, 18 juin.
L’armée russe de Bukovine a franchi le Pruth et occupé Czernowitz ; les avant-gardes sont déjà sur le Séreth moldave, aux environs de Storotzynetz.
Lundi, 19 juin.
Le général Biélaïew, chef d’État-major général, un des officiers les plus instruits, les plus consciencieux, les plus honorables de l’armée russe, va se rendre bientôt en France pour y régler diverses questions relatives aux commandes d’artillerie et de munitions. Il vient déjeuner ce matin avec moi.
Tout d’abord, je le félicite des succès que le général Broussilow continue de remporter en Galicie et qui, hier, ont amené ses troupes à Czernowitz. Il accepte mes félicitations avec réserve, ce qui est conforme à sa prudence et à sa modestie habituelles.
A table, il m’expose en détail les dernières opérations du front galicien, s’exprimant toujours avec cette sagesse et cette précision qui, depuis longtemps, me font estimer si haut ses opinions.
Puis, revenus dans le grand salon et nos cigares allumés, je lui demande :
— Où en sommes-nous de la guerre et sous quelle impression allez-vous partir ?
Pesant bien ses mots, il me répond :
— L’Empereur est résolu plus que jamais à poursuivre cette guerre jusqu’à notre victoire totale, jusqu’à ce que l’Allemagne soit obligée de subir nos conditions, toutes nos conditions. Ce que Sa Majesté a daigné me dire, lors de mon dernier rapport, ne me laisse aucun doute à cet égard. Mais, si notre situation militaire s’est beaucoup améliorée ces derniers jours en Galicie, nous n’avons même pas commencé d’attaquer les forces allemandes. A mettre les choses au mieux, nous devons prévoir une lutte très dure encore et très longue. Je ne considère, bien entendu, que les conditions stratégiques du problème : je n’ai pas à tenir compte des conditions financières, diplomatiques et autres. C’est en vue de ce grand effort suprême que je vais négocier à Paris, afin que notre armée, qui est si riche