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Ainsi le goût, l’instinct de l’artiste auront été, une fois de plus, la règle la plus sûre. M. Papini nous prévient qu’il n’a pas voulu faire une œuvre scientifique. Il écrivait à la campagne, dans un village de l’Apennin, n’ayant sous la main que les Évangiles, le recueil des agrapha et des logia, et une dizaine d’ouvrages modernes. Il avait bien vu, en effet, que dans un tel sujet la science même à une impasse. Une vie de Jésus est une entreprise chimérique. Les textes évangéliques ne constituent pas une histoire ; ils forment un recueil d’exemples et d’enseignements, un résumé de traits d’où résulte une idée de la personne et de la doctrine de Jésus, mais d’après lesquels il est impossible d’écrire une biographie. Les difficultés infinies de la concordance des Synoptiques suffiraient à nous avertir : on ne peut établir d’une manière positive aucune chronologie de la vie de Jésus. Il y a en outre pour l’historien (et pour l’historien catholique beaucoup plus que pour tout autre) des problèmes insolubles dans la donnée même du sujet. L’union des deux natures dans la personne du Christ, les rapports de l’humain et du divin, ouvrent des perspectives qui sont de l’ordre du mystère ; la théologie les formule, mais sans les expliquer. Quelle idée Jésus s’est-il faite de sa mission divine et de ses rapports avec son Père ? En a-t-il eu une révélation progressive ou une connaissance immédiatement parfaite ? Ces énigmes de la psychologie de Jésus peuvent sans doute se réduire, pour le critique rationaliste, à une série d’explications ou d’hypothèses naturelles ; c’est un cas que l’on peut étudier comme celui des visions de Mahomet ou du démon de Socrate. Mais l’écrivain croyant n’ose s’aventurer qu’en tremblant dans ce domaine interdit. La divinité de Jésus est un fait qui échappe à l’analyse, à la loi ordinaire du développement et de la croissance des choses, et par conséquent à l’histoire.

Pour toutes ces raisons, le procédé de l’artiste et du poète était le seul praticable. L’auteur ne s’est même pas astreint à suivre dans le détail l’ordre des Évangiles : il se borne à en reproduire le mouvement d’ensemble, de la naissance à la Passion, groupant dans l’intervalle, avec un art caché, les différents chapitres : la doctrine de Jésus, les Béatitudes, le Pater ; ensuite les miracles, les paraboles ; puis, l’entourage de Jésus, les disciples, les enfants, les femmes. Dans tout cela, il n’a cherché nullement à faire étalage d’une vaine science, ni même de ce qu’on appelle le pittoresque et la couleur ; au lieu d’éloigner l’Évangile, de le situer exactement dans le temps et l’espace, il le rapproche de nous, il le replace dans une