Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/460

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comprendre. Le passage suivant, sur le Sacrement de la Cène, me parait un très bon exemple de sa manière.


Il est doux au cœur de l’ami, de partager avec ses amis le pain fils de la terre, ce pain, d’abord brin d’herbe éclairé par les lys, pour devenir épi mûr, élevé sur sa hampe, et un peu courbé sur sa tige par le poids de son fuseau blond. Dans ce morceau de pain, que de travaux, d’anxiétés, de peines ! etc…


Et c’est, en une page, tout une Géorgique, un tableau du labour, des semailles, de la moisson, de toutes les opérations qui font le prix auguste de notre pain quotidien. On voit ce qu’il y a de personnel dans cette interprétation, et le genre d’intérêt qu’ajoutent au vieux sujet l’imagination et le talent de l’auteur. A vrai dire, c’est là ce que nous y cherchons, plus que toute autre chose ; ce n’est pas du nouveau sur la doctrine de Jésus, mais c’est de savoir quelle émotion un de nos contemporains a pu recevoir de cette histoire, comment il l’a vécue, et ce qu’il y retrouve de ses propres passions. Or, je l’ai dit, M. Papini, en devenant chrétien, n’a rien perdu de sa virulence et de son génie combatif : il est toujours le colérique que dégoûtent la platitude et le pharisaïsme ; sous les noms des scribes et des docteurs, des publicains et des marchands, il flagelle les mêmes vices qu’il a poursuivis depuis vingt ans. Il est celui qui « n’accepte pas », qui souffre de la vulgarité, des mensonges, de la turpitude du siècle ; l’homme qui pense, avec Hamlet, qu’il y a quelque chose de pourri dans le monde, le Don Quichotte qui fait la guerre à toutes les injustices et à toutes les hypocrisies, le bilieux, le mécontent, dont le geste instinctif est « celui de l’assaut » et dont le langage ordinaire est la diatribe et l’invective.

Il cite quelque part avec admiration le cri naïf de Clovis, écoutant la Passion de Jésus : « Ah ! si j’y avais été avec mes Francs ! » M. Papini s’est fait chrétien par besoin d’héroïsme : dans cette même doctrine où Nietzsche ne voyait qu’une morale d’esclaves, il aperçoit au contraire ce qu’il a cherché toute sa vie, la liberté suprême, l’absolue indépendance, le perpétuel miracle, le défi à toutes les bassesses et à toutes les lâchetés. Il y a de la chevalerie dans son idée au christianisme. Peut-être lui arrive-t-il d’insister avec quelque excès sur le côté révolutionnaire de l’enseignement de Jésus, sur le renversement des « valeurs « qu’il comporte, sur cette nouvelle échelle de grandeurs où les premiers seront les derniers, sur cette charte des Béatitudes, qui annonce une idée si inouïe du bonheur, et enfin sur ce que saint Paul a lui-même appelé le scandale et