Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/461

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la « folie » de la croix. Sans doute, il y a dans le christianisme une force intarissable de renouvellement de la vie, une puissance d’excitation et de soulèvement moral qui n’a jamais été complètement exploitée. Chaque fois qu’elle est comprise par un François d’Assise, le monde en demeure stupéfait comme d’une merveille. Cependant, l’esprit de Jésus est-il réellement un esprit de révolution ? Est-ce bien là le fait chrétien le plus essentiel ? J’entends que M. Papini ne prête pas au mot son sens politique et vulgaire. Toujours est-il que rien ne lui plaît comme de faire voir en Jésus la puissance de bouleversement, le radical, l’anti-bourgeois, l’horreur de la routine, la divine liberté du saint et du poète. Il lui plaît de montrer le « divin ironiste » (il supremo Paradossista) qui confond par une parabole, par un mot d’un charme ravissant, la science des sages et l’orgueil des pontifes. » Le « Renverseur, » le « Culbuteur, » (Rovesciatore, Capovolgitore), l’homme à l’âme d’enfant, qui déroute les habitudes, déclasse les jugements, abolit toutes les conventions, voilà le héros de M. Papini : et quel plaisir, quand il brandit le fouet et bouscule les marchands du Temple ! C’est bien le Jésus qui devait se charger de sa cause, et tel que devait l’imaginer le critique exaspéré du Crépuscule des philosophes.

Il faut avouer que nous devons à ce parti pris involontaire quelques-unes des meilleures pages de M. Papini. Son œuvre n’a pas plus de valeur « historique « que n’en a, par exemple, le Jésus de Rembrandt : mais elle a une valeur exactement du même genre, et nous ne pouvions pas en attendre autre chose. Nul n’a le droit d’exiger de l’artiste une image « ressemblante » de la personne du Christ : il suffit qu’elle soit intime, que l’auteur y ait mis du sien, pour qu’elle soit vivante et mérite de nous émouvoir. A cet égard, l’éloquence sacrée n’a peut-être pas, depuis Veuillot, de plus beaux morceaux à nous offrir que certains endroits de cette Vie du Christ de M. Papini. Chaque fois qu’il s’en prend à ses vieux ennemis, aux idoles du monde, à l’égoïsme, à l’ambition, à la cupidité, à la tartufferie, l’auteur trouve des accents d’une sincérité et d’une verve admirables. De quel orateur ou de quel poète citerait-on aujourd’hui un fragment comparable à cette page de « sermon » sur l’argent, cet argent que l’auteur, avec une verdeur de cordelier, ne craint pas d’appeler l’« excrément du démon ? « 


Ces jetons de métal frappé, qui passent et repassent entre des mains souillées de sueur et de sang ; usés par les doigts rapaces des filous, des marchands, des banquiers, des entremetteurs, des avares ; ronds, visqueux