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crachats des Monnaies, désirés, convoités, volés, enviés, aimés plus que l’amour, parfois plus que la vie ; ces sales morceaux de matière historiée que la haine donne à l’assassin, l’usure à l’affame, la fourberie au traitre, le trafic à la concussion, l’hérétique au simoniaque, le luxurieux à la femme vendue et achetée ; cet argent, cette matière, emblème de la matière, est la plus effroyable invention de l’homme. L’argent, qui a fait mourir tant de corps, chaque jour tue des millions d’âmes.


Mais plus que ces apostrophes et que ces invectives, j’aime certains passages plus calmes, certains replis du récit, des retours sur soi-même, courtes élévations qui sont ce qu’en termes propres, le langage ascétique appelle des « oraisons. » Ce sont ces épanchements, ces moments d’effusion qui me paraissent faire tout le prix de cette Vie du Christ, les moments où l’auteur oublie ses colères et ses haines, oublie même l’histoire, pour se souvenir seulement qu’il est poète. Que ne puis-je traduire ici ces brefs « poèmes en prose » que l’on pourrait intituler Haceldama, ou le Reniement de Saint Pierre ! « Pleure, Simon, pleure puisque Dieu te fait la grâce des larmes… »

Ceci revient à dire que cette Vie du Christ (pouvait-il en être autrement ?) est avant tout une œuvre lyrique ; il faut la prendre comme une sorte d’oratorio, où le récitatif est à chaque moment coupé d’invocations, de soupirs, d’élégies, d’élans et de prières. Je doute que la physionomie de Jésus, pour une âme tant soit peu chrétienne, en ressorte plus vivante que de l’œuvre des mystiques, et surtout de la simple lecture des Évangiles. Ce qui nous touche ici, mais quoi de plus touchant ? c’est le spectacle d’une âme qui se livre à Jésus, qui se modèle sur lui, qui cherche à reproduire en elle le reflet de son image, et qui nous dit ses émotions à mesure que l’histoire divine se déroule dans son cœur.

Or, il se trouve que cette âme est une des plus passionnées qui soient, une de celles qui, par hasard, étaient le plus propres à ressentir dans toute leur énergie quelques-uns des phénomènes du christianisme primitif. On sait au milieu de quelles préoccupations millénaires s’est produite la prédication de l’Évangile : Jésus lui-même décrit l’avènement du règne de Dieu, comme attaché à la suprême révolution du monde. Les origines chrétiennes se sont passées dans l’attente de cette Apocalypse. Depuis longtemps, l’Église a cessé d’assigner une date à l’échéance des « fins dernières, » et le fidèle répète chaque jour la phrase : « Que votre règne arrive, » sans attacher le plus souvent à ces paroles d’autre sens que celui