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« Race économe, calculatrice et utilitaire, » dit Vidal de La Blache des populations du plateau lorrain. Et il ajoute : « figée dans ses habitudes, ennemie des innovations. » Faut-il rapporter à cette disposition ethnique le « traditionalisme » de M. Maurice Barrès, son culte fervent du passé, son perpétuel souci de tout fonder sur « la terre et les morts ? » On peut observer aussi que, sur ces « bastions de l’Est, » un patriotisme ombrageux et farouche devait tout naturellement fleurir : « éternel champ de bataille » où Celtes et Germains se sont périodiquement affrontés, la Lorraine a pour mission historique de contenir le Ilot du germanisme envahissant, de maintenir dans son unité permanente le clair génie gallo-romain ; elle n’est pas impunément le pays de Jeanne d’Arc.

Mais, tout en s’opposant à l’Allemagne, elle la comprend, elle la pénètre, elle est capable de s’en assimiler les secrètes aptitudes : le don philosophique et poétique, le repliement sur soi, la tendance aux rêves abondants et tumultueux. La vallée de la Moselle est un excellent poste d’écoute, et l’on y perçoit fort distinctement les voix musicales et nostalgiques du brumeux génie du Rhin.

Charmes est une jolie petite ville, mi-paysanne, mi-ouvrière, de 3 000 habitants. La maison familiale de l’écrivain est située un peu en dehors de la ville, au centre d’un beau jardin français, « plein de repos et de fraîcheur, » qui descend jusqu’à la Moselle. De la terrasse, le regard embrasse la noble et large vallée, les opulentes verdures de la forêt de Charmes, la côte d’Essey, et, parfois, quand le temps s’y prête, on voit à l’horizon se dresser les premiers escarpements des Vosges. C’est là, dans ce paisible milieu de bonne bourgeoisie française, que l’enfant passa ses toutes premières années. La mère, dont la fine distinction d’esprit semble avoir eu, de bonne heure, une grande