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« Ça, mon frère, soupons et trinquons ! Nous ne serons demain qu’un festin pour les poissons... » Ses yeux rient avec une allégresse enfantine.

Nous nous disons adieu. Il est sur le bord de la barque et me regarde.

Je me retourne deux ou trois fois pour le saluer de la main. Il disparaît.


Il fait froid ; il bruine ; le vent souffle. Je suis enveloppé dans mon grand manteau gris.

La lagune est jaunâtre, agitée. Passe une barque noire à voile rousse.

Je garde le silence, tandis que mes amis parlent. Ils parlent de lui.

Une flambée de gaîté presque tendre, tant nous l’aimons, tant nous goûtons sa grâce bizarre ! L’humidité cendrée éteint le rire et la plaisanterie.

De grands murs. D’énormes engins.

Nous entrons dans l’Arsenal. Louis Bresciani va travailler à son hydravion de bataille. Manfred Gravina retourne à l’Amirauté. La volonté brille à travers la mélancolie de l’instant qui n’est plus.


Tristesse morne. La vie se rompt à l’improviste, comme une corde tendue. Difficulté de la renouer.

Renée aussi est triste. Je décide d’aller diner avec Albert pour la distraire. Elle aussi regrette l’absence de notre ami. Il semble que pour nous il n’y a plus, à présent, de plaisir sans lui.

J’écris à Cinerina pour lui dire de venir.

Renée va s’habiller.

Nous sortons vers huit heures, dans l’obscurité, en nous tenant par la main.

Très mauvais diner, conversation languissante.

Nous refusons le café, pour l’aller prendre au cabaret des Baretteri. Nous nous acheminons dans le noir, mélancoliquement.

Après quelques instants, nous commençons à apercevoir le clair de lune. Par le portique, nous débouchons sur la Place, nous entrons dans l’enchantement.

La lune est presque pleine. L’air est froid.

La Merceria se fait sombre, étroite et encombrée. Avant de parvenir au pont des Baretteri, nous sentons le parfum excitant du