Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/55

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et ne put s’en relever. La guerre finie, Charmes fut occupée jusqu’au paiement intégral de l’indemnité. Il fallut loger des Prussiens : l’un d’eux, qui n’était point un mauvais homme, s’improvisa domestique, et, parfois, il conduisait l’enfant à l’école. Enfin, le dernier casque à pointe disparut à l’horizon, et la vie française put reprendre son cours normal.

Il était temps. Pendant toutes ces années troublées, les études avaient été fort négligées, et il aurait fallu les reprendre par la base. On mit l’enfant interne au collège de la Malgrange, qui était tenu par des prêtres, et où, tant bien que mal, on l’initia au rudiment, puis plus tard au lycée de Nancy. Il a gardé un détestable souvenir de ses années de pension :


J’ai passé mon enfance au collège, au milieu d’abominables imbéciles. Au bout de cinq ans, j’y trouvai une légère distraction. Pour exercer notre mémoire, on nous donna une Anthologie des prosateurs français du XIXe siècle. Je possède encore ce gros volume bleuâtre. À chaque fois que je l’ouvre, je retrouve cette joie aiguë et tremblante, joie enveloppée de tristesses, que me faisait ce bon livre pendant les longues études du soir, quand, après une journée terrible, je me consolais parmi ces enchanteurs jusqu’à l’heure bénie du coucher. J’avais pour d’excellentes raisons une peur terrible des récréations. Et il ne faut pas sourire, si je dis que Charles Nodier (avec Trilby), Alexandre Dumas (avec Une soirée chez Charles Nodier), Veuillot (avec Maître Aspic), quelques autres encore, étaient mes vrais camarades…


Un jour, il découvre la notice sur Augustin Thierry, et, s’exaltant au récit de ses souffrances, le cœur rempli « de générosité et de trouble, » il tombe sur la page, qui nous a tous si profondément remués à son âge, où le noble écrivain raconte comment est née sa vocation d’historien. « Je me mis à gesticuler d’aise, répétant moi aussi : Pharamond, Pharamond… »


O désastre ! L’homme, le préposé, le surveillant bondit… Je me souviens qu’il lisait alors, comme toujours, les Faucheurs de la mort. C’était sa lecture favorite et stupide… Par terreur et prudence, je m’étais coulé sous la table. D’un adroit coup de pied, m’en ayant fait sortir, il me précipita dans la boîte à houille. C’était le lieu d’humiliation habituel. Pourquoi ce singulier et incommode pénitencier ? Aujourd’hui encore, je ne comprends rien à la fantaisie de l’affreux drôle… Je m’agenouillais, terrifié, dans la houille, et, au bout de cinq minutes, l’horrible chaleur du poêle de fonte où j’étais presque