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qui feront triompher en Turquie leurs aspirations et leur politique.

En observant les péripéties de cette dispute, qui ne se rappellerait comment le même problème s’était posé devant l’Empire byzantin ? Lorsque les rescrits souverains qualifiaient officiellement l’Asie de « force de l’Empire, » ils ne faisaient pas seulement allusion à la fertilité des provinces situées au delà des mers, mais ils consacraient l’importance essentielle des territoires asiatiques, au point de vue politique et militaire. Dans la hiérarchie byzantine, les gouverneurs d’Asie occupaient un rang bien plus élevé que ceux des provinces européennes et leur traitement était beaucoup plus considérable. Du jour où l’Empire byzantin a perdu l’Asie-Mineure, sa décadence commence et sa ruine apparaît inévitable. Constantinople, sans l’Asie, ne se défend point. Mais que deviendrait, pour les Turcs, l’Asie sans Constantinople ? La première fois que je rencontrai Izzet Pacha, qui revenait alors d’une mission à Angora, je lui dis que j’avais naguère traversé l’Anatolie et que j’avais gardé le souvenir d’un pays merveilleusement riche. » Oh ! — reprit vivement le maréchal, — c’est une belle province, mais nous en avions de meilleures : l’Anatolie toute seule ne fait pas la Turquie » ; et une tristesse grave passait dans son regard et dans sa voix. Telle était, évidemment, l’opinion de Moustapha Kemal ; mais, en 1919, elle n’était point partagée par tous les dirigeants du mouvement nationaliste.

Certains documents, relatifs au Congrès d’Erzeroum, font connaître une série de résolutions, qui devaient rester secrètes. Elles ont trait à la préparation d’une alliance avec les Géorgiens et les Tatares de l’Azerbaïdjan, à l’organisation de soulèvements locaux en Mésopotamie et en Arabie, enfin à la réoccupation des territoires abandonnés par les Russes au traité de Brest-Litovsk. Les mêmes questions sont portées au Congrès de Sivas, et on y reconnaît la double nécessité d’un rapprochement avec les trois républiques unies du Caucase, et d’un contact permanent avec les éléments musulmans de la Perse, de l’Afghanistan et des Indes. Durant toute l’année 1920 et jusqu’aux derniers jours de mars 1921, Angora hésite entre deux politiques : porter secours à la Géorgie et empêcher les Russes bolchévistes de s’installer en vainqueurs dans les républiques caucasiennes ; ou bien aider les Russes à conquérir le Caucase et partager avec