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eux les fruits de la conquête. Quand les relations avec l’Entente s’améliorent et quand l’occidentalisme triomphe, c’est le premier système qui prévaut ; et c’est le second, lorsque les relations sont plus tendues avec Paris et avec Londres, et que, par suite, l’orientalisme gagne du terrain.

On peut apercevoir les fluctuations de cette politique à travers les journaux unionistes d’Angora. Dès que surgit à l’horizon la menace de quelque arrangement, de quelque négociation avec l’Italie, l’Angleterre ou la France, les organes du parti intransigeant redoublent la violence de leurs attaques contre l’Occident Leur acharnement atteint au paroxysme lorsque Békir Sami Bey part pour Londres, et la campagne se poursuit durant toute la conférence et jusqu’au retour des délégués nationalistes à Angora. C’est le moment où le Hakimiet-i-Milié, qui avait affecté jusqu’alors une certaine modération, publie, sous le titre de Ruse latine, un article féroce, dont voici la conclusion : « Il n’y a pas d’entente possible entre nous et les Français. La France fera bien de songer qu’à côté du péril allemand, il existe aussi un péril turc. »

Le résultat de cette campagne, c’est le rejet des accords de Londres par l’Assemblée d’Angora, la démission de Békir Sami et le remaniement du cabinet nationaliste (mai 1921). L’autorité de Moustapha Kemal est mise en échec ; lui et ses amis sont traités en suspects, pour avoir voulu conclure la paix avec l’Occident. Ceux qui triomphent sont les Unionistes, et plus particulièrement les Unionistes demeurés fidèles aux principes radicaux et xénophobes de Talaat, d’Enver et de Djemal. Ils révèlent alors hardiment leurs desseins : la Turquie doit être reconstruite sur des bases nouvelles, former un grand empire exclusivement asiatique ; elle n’admet aucun contrôle et se refuse même à toute collaboration avec les grandes Puissances d’Occident. C’est le moment où le gouvernement d’Angora négocie des accords avec l’Afghanistan et avec la Perse, où Djemal Pacha, l’ancien ministre de la marine, est officiellement chargé de réorganiser l’armée afghane, tandis qu’Enver, l’ancien ministre de la guerre, envoie de Bakou des émissaires à Trébizonde, avec mission de préparer son retour en Anatolie.

L’Unioniste radical Yonous Nadi, qui fut chargé par le Comité d’accompagner et de surveiller Békir Sami à la Conférence de Londres, et qui, de retour à Angora, a fourni aux