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Angora : l’accord avec les Turcs, c’était un coup décisif porté à la politique germano-russe en Asie, c’était l’effondrement de toute la machine habilement montée contre nous par Berlin et par Moscou. La diplomatie française eut le sentiment très net de cette opportunité ; les Italiens de Constantinople en furent bientôt persuadés, et même quelques Anglais, qui malheureusement n’avaient pas grand crédit.

Une médiation était possible au lendemain de la victoire d’Inn Eunu : Londres n’en voulut pas entendre parler. L’armée grecque, au sentiment des Anglais, n’avait été battue que faute d’un matériel suffisant : on lui fournirait du matériel, de l’argent, du personnel technique, et le succès était certain. Les Turcs eussent compris, à la rigueur, que l’Europe les laissât vider leur querelle avec les Hellènes sur les champs de bataille d’Anatolie et donnât raison aux vainqueurs. Leur sentiment de la justice se révolta, lorsqu’ils virent les Alliés assurer à leurs ennemis, soit un matériel de guerre perfectionné, auquel eux-mêmes ne pouvaient opposer que des armes moins efficaces, soit des facilités de ravitaillement et de transport, dues à l’occupation de leur capitale, de leurs territoires et de leurs mers par les forces européennes.

Cependant l’accord avec Moscou commençait à produire ses effets. Les gros canons qui défendaient Kars contre l’armée rouge étaient transportés sur le front occidental ; Kiazim Karabékir, qui gardait la frontière russe, ramenait ses troupes contre les Grecs. Rien n’empêchait plus les bolchévistes d’entrer en Anatolie ; s’ils y entraient, s’y arrêteraient-ils ? Les Anglais furent les premiers à s’inquiéter : l’idée que désormais les routes de l’Asie s’ouvraient devant les Russes leur était insupportable. Ils prièrent le gouvernement de Constantinople d’intervenir auprès de celui d’Angora, pour que l’entrée du territoire turc fût interdite aux bolchévistes ; en même temps, ils prenaient, d’accord avec les Alliés, une série de mesures destinées à défendre éventuellement la capitale occupée. Fort heureusement, Moustapha Kemal ne se souciait pas beaucoup plus que les Alliés de voir les armées rouges envahir l’Anatolie. Il accepta le matériel de guerre et l’argent envoyés par Moscou, mais refusa les renforts ; il s’opposa à ce que Broussiloff, — dont le nom fut alors prononcé avec insistance, — ou tout autre général russe assumât le commandement sur une partie du