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l’historien dans l’embarras d’accepter l’hospitalité que lui offrait, rue de Courcelles, sa « sœur » la princesse Belgiojoso,

Le quartier du Roule, il y a trois quarts de siècle, n’était pas comme aujourd’hui un pâté continu de bâtisses. Situé alors presque aux confins de la ville, il présentait à peu près l’aspect qu’offre à présent Neuilly, et de vastes jardins entouraient les hôtels assez disséminés que l’on commençait d’y construire.

Vers la fin de 1843, Mme de Belgiojoso était venue s’installer avec sa fille Marie [1] dans une propriété appartenant à Mme Bernard, au numéro 36 de la rue de Courcelles, environ l’emplacement actuel du boulevard Haussmann,

La demeure était spacieuse, mais triste ; la princesse s’en dégoûta bientôt, et, songeant à cette acquisition de la rue Taranne qui ne put être réalisée, n’y avait transporté qu’une partie de ses meubles. Deux étages restaient vides, inhabités, sauf des domestiques ; toute la vie de la maisonnée était concentrée au rez-de-chaussée : établissement un peu bohème, selon les goûts fantasques de l’occupante du logis.

Dans le jardin, en retrait du corps de bâtiment principal, s’élevait un pavillon indépendant, composé de cinq pièces. C’est là au prix d’un loyer annuel de quatorze cents francs, qu’il avait exigé de payer, qu’au mois d’octobre 1844 vint, à son retour de la campagne, habiter Augustin Thierry.

Encore tout endolori de son deuil, il arrivait plein d’illusions. Confiant dans les assurances de son amie, il croit avoir trouvé près d’elle le port de refuge, l’asile sûr où s’achèveront désormais ses jours, « dans une vie d’intimité familiale et de soins affectueux. » Il en attend la tendresse protectrice que réclame sa faiblesse et la douceur attentive qui soulagera sa peine. Elle sera la lumière de ses ténèbres immobiles, son « pilote, » sa « boussole, » et, dans une métaphore habituelle, il se compare à la barque amarrée au navire, le suivant au sillage et protégée par lui des périls de la mer.

Il ne sera pas longtemps à découvrir la vanité de son rêve, à constater qu’entre toutes il a choisi « l’affection la plus périlleuse, celle qui vit d’agitations et de luttes, qui excite les orages, parce qu’elle en a besoin, et qui ne comporte aucune règle, aucun obstacle, aucun frein [2]. » Avec mélancolie, il

  1. Née en 1838 plus tard, la marquise Trotti-Bentivoglio.
  2. Lettre de la princesse Belgiojoso : 5 décembre 1844.