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écrira plus tard à Mme de Tracy : « Sauf quatre à cinq mois, la chimère dont je m’étais épris n’a rien produit qu’une longue absence. J’ai passé le temps à compter les jours et à attendre. »

La princesse rentre, en effet, à Paris, frémissante de grands projets. Avec la versatilité qui n’est pas son moindre trait de caractère, elle renonce à la vie mondaine pour se lancer derechef dans la politique la plus turbulente. Plus que jamais, elle se juge indispensable à l’Italie, elle croit à son rôle, à sa mission. Pour la mieux accomplir, férue des théories que vient de formuler Cesare Balbo, dans ses Speranze d’Italia, elle a fondé la Gazzetta italiana, prône l’émancipation du prolétariat, l’éducation des masses, l’amélioration matérielle et morale des paysans, dans lesquels elle voit les pionniers de l’avenir.

Si, dans son entourage, les « gens de la raison glacée, » comme elle les nomme, Mme Jaubert, Ravaisson, Scheffer, Mignet, Laprade, s’efforcent de refroidir son enthousiasme, lui montrant les complications de la tâche, l’incertitude du résultat ; en revanche, la cohue cosmopolite qui l’environne d’une nuée de parasites, exilés italiens, réfugiés grecs, patriotes moldaves, l’applaudit par complaisance intéressée, l’encourage à tenter pour la « Cause » une grande expérience.

Cet essai, la réformatrice prétend l’opérer dans son domaine lombard de Locate, à une heure de Milan, la ville de sa grande popularité. De Port-Marly, sans avertir encore son « frère, » elle avait fait tenir aux principaux tenanciers ses observations et ses projets de soulagement. A Paris, elle révéla son dessein.

Tout déconcertant qu’il apparaisse d’abord, cet avatar inattendu, en bienfaitrice rurale et en économiste agraire, ne doit pas trop étonner de celle que Paris avait déjà vue métamorphosée tour à tour en conspiratrice, en théologienne, en lionne des salons littéraires. Vainement, la voix d’Augustin Thierry se joignit-elle aux remontrances des prêcheurs de sagesse. Malgré sa douloureuse surprise, il dut s’incliner devant une volonté d’autant plus opiniâtre qu’elle était plus soudaine. Ses instances les plus vives ne pouvaient au demeurant que cesser, lorsque la princesse invoqua des nécessités financières, l’intérêt qui exigeait sa présence à Milan, afin d’y écouler les actions de la Gazetta, d’obtenir l’appui d’argent indispensable au succès de sa propagande.

Après de tristes adieux, laissant l’aveugle désolé de retomber