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« à la solitude de sa nuit sans étoiles, » d’être privé du rire et des ébats de Marie qu’il chérit tendrement et qui l’appelle son « oncle-ami, » Mme de Belgiojoso quitta la rue de Courcelles, le 11 novembre 1844. Elle gagnait Marseille par le Bourbonnais, afin de s’embarquer pour Gênes.

Donna Cristina, avant leur séparation, avait juré « sur son nom de Trivulce » que son absence serait de courte durée, qu’elle ne dépasserait point en tous cas le printemps de 1845. Pour adoucir le chagrin qu’elle lui cause, elle apprend en outre à Augustin Thierry qu’elle vient d’acquérir un vaste terrain rue du Mont-Parnasse, où chacun d’eux pourra faire construire un pavillon suivant ses goûts. Et de s’enflammer à cette idée : « Oui, mon frère, ce sera là votre port, la retraite calme, riante et assurée où nous vieillirons à peu de distance de temps et d’espace, où vous achèverez vos beaux travaux, où ceux qui aiment la grandeur viendront vous trouver et où, si Dieu veut que vous me précédiez, je chasserai les ombres qui obstruent quelquefois le dernier passage et l’assombrissent. Reposez-vous sur cette pensée et soyez assuré que vos doux projets ne seront jamais dérangés par ma volonté. Vous avez en moi une sœur dévouée qui vous place au premier rang parmi les devoirs qu’elle affectionne [1]. »

Intention assurément sincère : mais combien décevante allait être la réalité !

La voyageuse arriva le 29 en Lombardie. Alors commence avec celui qu’elle laisse à Paris, une longue correspondance beaucoup trop étendue pour être reproduite ici, malgré son intérêt [2].

C’est d’abord la narration enthousiaste d’un accueil triomphal qui flatte délicieusement son orgueil : Locate en fête et tout illuminé ; les huit voitures de cortège passant sous un arc de triomphe ; dix mille paysans accourus des alentours, jetant des fleurs, parmi les acclamations sans fin et le vacarme des pièces d’artifice.

Puis, les mois suivants, se déroule l’exposé des améliorations de tout genre qui transforment en une sorte de phalanstère le fief ancestral des Trivulce, « car il a bien l’air, à présent, d’être sorti des mains fouriéristes. » Mme de Belgiojoso s’ingénie,

  1. Lettre de Locate : 80 janvier 1845.
  2. Elle ne comprend pas en effet moins de 38 lettres pour le seul hiver 1843-1845 et chacune de huit à dix pages.