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relâche lui rend l’absence moins cruelle, qui lui semblait autrefois « un supplice » et plongé dans le passé, les blessures du présent le trouvent plus insensible. Pourtant, sans qu’ils le soupçonnent ni l’un ni l’autre, les grelots des postiers emmenant la princesse, sonnent le glas de leur intimité. Tout entière à sa fièvre de patriotisme, redevenue, comme au temps de sa jeunesse, l’héroïne de la Jeune Italie, Donna Cristina commence dès lors les tournées de propagande qui la rendront un instant l’idole des Romains et des Napolitains, l’âme de la résistance milanaise aux fusillades de Radetzky. Elle ne fera plus à Paris que de brèves apparitions, jusqu’au jour où, après l’expédition de Rome, elle ira, de fureur et de désespoir, disparaître, cinq ans, chez les Turcs, en un lointain exil.

Sa résolution n’en était pas moins pour Augustin Thierry une cause de sérieux embarras. Avant de quitter la France, Mme de Belgiojoso avait donné congé rue de Courcelles ; au printemps suivant, si le pavillon du Mont-Parnasse restait toujours inachevé, — et son vindicatif architecte ne se pressait pas, — l’historien se voyait menacé d’être sans logis.

Obsédant motif de préoccupations qui fait l’objet d’épîtres désolées à Locate. Donna Christina n’y répond guère, elle est tombée malade et s’en va dorloter sa convalescence à Venise. Ses lettres au surplus se font rares et, pour tout dire, les soucis dont on l’entretient, la laissent assez froide. Ses préférences altruistes ont trouvé à s’exercer ailleurs, en la personne d’un séduisant poitrinaire, son jeune secrétaire Stelzi, pour qui elle s’est prise d’une affection si passionnée, qu’elle ressemble furieusement à de l’amour.

Les appréhensions de l’écrivain se réalisèrent ; au mois d’avril, il lui fallut déménager, aller s’établir en hôtel meublé, rue Neuve-de-Berry, Dans son état de misère physique, cette nécessité prit les proportions d’une catastrophe. L’achèvement de l’Introduction, parvenue au règne de Henri IV, subit un nouvel arrêt, duquel il lui faut s’excuser encore auprès de Salvandy.

Par bonheur, ce désagrément fut de courte durée. La princesse s’était enfin décidée à intervenir, à houspiller sérieusement Mercier. L’effet de sa mercuriale ne se fit point attendre : en juillet 1847, l’historien pouvait enfin s’installer chez soi.

Il en éprouve une joie enfantine qui se traduit dans les lettres qu’il adresse en Italie.