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« Je me trouve bien, très bien de mon pavillon, du jardin, de l’air et du soleil, et je me prends à dire quelquefois dans mes promenades : Home, sweet home !... Oui, mon logement me plaît et pour le traiter selon ses mérites, je viens de lui donner des rideaux de damas et des portières en tapisserie. Je suis heureux et pour vous le prouver, je m’attache autant que je puis au travail. »

Les cahiers de comptes d’Augustin Thierry, ses commandes aux fournisseurs montrent en effet avec quelle attention, quel soin, pourrait-on presque dire amoureux, il veille aux embellissements de sa demeure. Le choix et l’assortiment des papiers sont l’objet de plusieurs conférences avec l’entrepreneur Gobert, une longue note au tapissier Munier stipule pour les bibliothèques, des rideaux bleu-clair à bordures violettes, afin de s’harmoniser mieux avec la teinte de leur vieil acajou. « Je ne veux pas, dit-il à la princesse, qu’à votre retour vous aperceviez aucune dissonance. »

Hélas ! ce retour se fait chaque mois plus incertain. De ville en ville, à Florence, à Bologne, à Rome, à Naples, Christine Belgiojoso poursuit à présent son apostolat libérateur. Ses lettres respirent l’enthousiasme, la griserie des accueils qui lui sont ménagés, du renom qu’elle s’acquiert, des triomphes qu’elle remporte.

« Je viens d’être invitée à Florence à une assemblée populaire et m’y étant rendue, j’ai été reçue par des cheers et des vivats. On m’a fait asseoir sur un siège élevé qu’ombrageait un arrangement de drapeaux tricolores ; on m’a adressé des discours auxquels il m’a fallu répondre. Jamais femme ne s’est trouvée placée comme moi et les émotions que j’éprouve sont de nature à détraquer des nerfs féminins. Qu’est-ce que l’émotion d’une actrice comparée à la mienne ? Mme Rachel présente au public les traits et le cœur de Camille ou de Phèdre : moi, c’est bien mon visage et ma personne que je lui apporte [1]. »

Elle n’assiste point à la dernière communication que l’historien adresse à l’Institut [2] et voyant de tous côtés s’assombrir l’horizon politique, pressentant les convulsions qui vont secouer l’Europe, elle essaie vainement de mettre en garde son persistant optimisme.

  1. Lettre du 30 décembre 1847.
  2. 11 février 1848.