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route » et lorsque paraît enfin le volumineux in-quarto qui donne satisfaction aux impatiences de M. de Parieu, il accompagne de cette lettre désenchantée son envoi à Henri Baudrillart :


« Monsieur et ami,

« Voici le volume auquel vous avez la bonté de vous intéresser. Je désirerais qu’il vous fût possible de venir en causer avec moi, lorsque vous l’aurez lu entièrement.

« Cette question de la destinée du Tiers-État est le nœud de toute notre histoire ; elle me semblait jusqu’à ces derniers temps d’une clarté incontestable ; je croyais y voir le secret des vues de la Providence à notre égard. Aujourd’hui, je l’avoue, des doutes me viennent et je sens le besoin de me raffermir.

« Comment poursuivre avec la même conviction jusqu’à 1789, cette histoire que j’ai conduite du XIIe siècle à la fin du règne de Louis XIV, en croyant que depuis 1830, nous étions arrivés au but marqué pour nous, il y a six cents ans ? Où placer maintenant l’avenir de la France qui me semblait être évidemment l’alliance de la tradition monarchique et des principes de liberté : le Gouvernement constitutionnel ? Voilà Monsieur, les incertitudes qui me gagnent et qui ont remplacé dans mon esprit la foi la plus entière. Si la vôtre ne partage pas mes défaillances, je trouverais là pour continuer ma route, un encouragement et un appui. »

La mort de Louis-Philippe, achevant de ruiner les espoirs de restauration qu’il conserve au fond du cœur, vient encore augmenter sa tristesse : « Elle m’a été sensible à un point que je ne saurais dire, écrit-il à M. de Circourt ; j’en ai souffert comme si elle rendait plus misérable encore le malheureux état de mon pays. Tant que vivait le chef de notre dynastie constitutionnelle, il me semblait qu’entre elle et nous, la séparation n’était pas encore complète. C’était une illusion, je le sais bien, mais cette illusion me rendait moins lourd le poids de la réalité. Aujourd’hui, rien ne me dissimule plus la profondeur de l’abime creusé entre le présent et un passé auquel m’attachaient mes idées, mes affections, mes études, tout ce que j’avais dans la raison et dans le cœur. »

Il garde contre Louis-Napoléon la même défiance et les mêmes préventions qu’il manifestait dix ans plus tôt contre l’auteur des échauffourées de Boulogne et de Strasbourg : mais la République