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représentent dans la population. Voilà donc des millions de Français qui, après avoir travaillé pendant 25 ou 30 ans, c’est-à-dire la moitié de leur vie, ont droit à un revenu viager. Ils entrent ainsi dans la classe des oisifs. Certains d’entre eux recherchent un nouvel emploi de leur activité. On voit des hommes de 50 ou 55 ans, vigoureux de corps et d’esprit, recommencer une carrière et en joindre le produit à la pension qu’ils touchent en vertu de leur travail antérieur. Le législateur va-t-il s’aviser un de ces jours d’intervenir de ce côté, et, après avoir limité les heures du travail, prétendra-t-il borner le nombre des années au cours desquelles il sera permis à chacun de nous de s’occuper ?

Le travail, de plus en plus en honneur dans les sociétés modernes, à mesure que leur existence se complique davantage et que la nécessité pour chacun des membres de la communauté de contribuer pour sa part au résultat d’ensemble apparaît plus clairement, n’est plus abandonné aux esclaves comme dans certaines sociétés antiques. Il n’est évidemment pas une marchandise comme une autre ; il en est une d’une nature spéciale, infiniment respectable, puisqu’elle n’existe que par l’énergie morale et physique de l’homme. Il dépend au premier chef de la personnalité humaine, c’est-à-dire de ce qu’il y a de plus élevé et de plus précieux sur cette terre. Mais il s’échange, et dès lors il fait l’objet d’un acte commercial.

Cette conception, si elle avait été clairement réalisée par les auteurs du Traité de Versailles et les membres de la Conférence de Washington, les aurait peut-être arrêtés dans la voie de la réglementation à outrance dans laquelle ils ont engagé l’univers. Si la liberté de commerce, est aujourd’hui proclamée chez la plupart des peuples, n’y a-t-il pas contradiction entre ce principe et l’intervention de l’Etat dans les rapports entre ouvriers et patrons, entre travailleurs et employeurs ?

Notons d’ailleurs que patrons et employeurs travaillent en général beaucoup plus qu’ouvriers et employés, et que le législateur n’a pas songé à limiter ce travail intellectuel des chefs d’entreprise, qui use les forces bien autrement qu’une simple contraction musculaire. Si la loi devait véritablement protéger l’homme contre lui-même, c’est-à-dire l’empêcher de travailler au delà de ce qui est raisonnable, elle viserait en première ligne ceux qu’on appelle parfois les capitaines d’industrie et