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ceux qui estiment que la société, représentée par un certain nombre de mandataires, est plus apte à connaître les besoins des hommes que les individus eux-mêmes et qu’elle a par conséquent le droit et le devoir de leur imposer des règles de conduite de plus en plus nombreuses, de plus en plus astreignantes. De l’autre côté, nous voyons les partisans du libre arbitre, ceux qui croient à la volonté humaine, à la responsabilité de chacun de nous et qui, en assurant l’exercice des facultés individuelles, considèrent qu’il n’y a pas lieu d’intervenir, ou qu’il faut intervenir le moins possible dans les conventions qui, selon la forte expression du Code civil, font la loi des parties.

La législation sur la durée du travail est un des produits les plus remarquables de l’esprit interventionniste. En présence de cette multitude d’actes et de décrets essayant de réglementer l’application d’une sorte d’idéal, une réflexion ne se présente-t-elle pas à l’esprit ? Combien le principe d’une loi doit être contestable, à laquelle, dès sa naissance, on est obligé d’apporter tant de dérogations ! Cette effroyable complication de prescriptions innombrables ne doit-elle pas nous mettre en garde contre l’atteinte fondamentale portée à la liberté humaine ? Voilà à peine deux ans que la loi d’avril 1919 a été présentée au peuple comme un fruit de la victoire, comme une sorte de récompense des efforts et des sacrifices consentis par lui au cours de la guerre ; et à chaque pas nous nous heurtons à des difficultés de toute nature. Certes, il n’est pas un de nous qui ne désire procurer à ceux qui travaillent, c’est-à-dire, on l’oublie trop souvent, à la quasi universalité des hommes, la vie la moins pénible possible ; mais il s’agit de savoir si c’est en réglant minutieusement chacune de ses journées, en organisant l’emploi de chaque seconde de son temps que l’on rendra le meilleur service à l’ouvrier.

Que se passe-t-il d’ailleurs dans un grand nombre de cas ? Personne n’ignore que tel ouvrier, après avoir travaillé huit heures dans une fabrique, se rend chez un autre patron, où il s’occupe pendant un temps additionnel plus ou moins long. Il va parfois cultiver la terre, ce qui est à coup sûr le plus hygiénique de ses loisirs. Ce n’est cependant pas à cet effet que les Compagnies de chemins de fer paient à leur personnel un salaire élevé et lui assurent des pensions de retraite de plus en plus avantageuses. C’est un des plus étranges paradoxes de la situation