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Connecticut Hall, qui date de 1750, tous les bâtiments sont modernes. Le plus ancien, la « vieille » bibliothèque, malgré son apparence de chapelle gothique, est de 1842. Les moins jeunes parmi les autres, comme l’Ecole des Beaux-Arts, ont cinquante-six ans à peine. La plupart furent construits entre 1888 et 1895. L’un, Wright Hall, est de 1911 seulement. Je m’approche et sur une tablette, comme sur une plaque funéraire, je lis qu’il s’élève à la place d’Alumni Hall. C’était la première bâtisse érigée avec le produit d’une souscription entre étudiants, et elle n’avait que cinquante-huit ans, quand elle a été démolie pour faire place à la nouvelle.

Cette fois, sans erreur possible, je retrouve l’Amérique dont j’ai eu maintes fois l’occasion de constater, au cours de mes déplacements dans le middle-west, la turbulente jeunesse, — cette Amérique qui donne parfois l’impression d’être un éternel chantier où d’innombrables Sisyphes seraient condamnés à rouler des pierres inlassablement. La soif de destruction qui torture ce pays est impossible à satisfaire : le progrès le veut !

Il est difficile de résister à cette poursuite folle du toujours neuf, car si vous la ralentissez, vous passez pour un ennemi du progrès. Une Université comme Yale, où se maintient si vif le respect des traditions et qui cherche si sincèrement à sauvegarder le culte du passé, est forcée, toute la première, de céder à ce mouvement qui entraîne le pays dans une course vertigineuse que jalonnent seuls de perpétuels recommencements. Pour en avoir la preuve, je n’ai qu’à sortir par cette porte qui mène du Campus à High Street, et là je tombe au milieu d’un chantier immense. Un « dormitory » monumental, le Harkness Memorial, où pourront loger à leur aise plus de six cents étudiants, est en train de jaillir de terre. Un journal local qui précisément publie aujourd’hui une interview de l’architecte, me permet de me documenter à peu de frais. » Ce sera, dit le rédacteur, le plus grand dormitory qui ait jamais été entrepris au cours de l’histoire du monde et le bâtiment en pierre le plus important en voie de construction dans ce pays à l’heure actuelle. » Cette énorme bâtisse, que borderont quatre rues, couvrira, en effet, cent soixante mille pieds carrés de terrain, surface équivalente à la moitié du vieux Campus. C’est le don d’une mère reconnaissante à Yale d’avoir élevé son fils, et aucune limite n’a été fixée à la dépense. Le devis, avant la guerre, avait