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Cette réforme satisfait la logique. On peut se demander si elle résout la difficulté fondamentale. Car c’étaient des choses infiniment profondes qui étaient en question et peut-être échappent-elles aux réglementations. Derrière cette opposition naturelle entre Sheffield et le Collège, il y a en réalité le conflit de deux buts, de deux méthodes, de deux idéals pédagogiques, presque de deux mondes. Yale Collège porte encore la marque de conditions très anciennes. Il a beau s’être modernisé, son origine est encore visible. C’est le descendant du vieux collège anglais, avec son idéal de culture classique et littéraire. Chose curieuse, les universités américaines, si jeunes et si modernes, sont par leurs collèges beaucoup plus près du système médiéval que les Universités d’un pays ancien comme le nôtre où l’organisation napoléonienne a rompu le lien qui les rattachait, elles aussi, au moyen âge. Mais en face de cette relique du passé se dresse ardente la conception pédagogique du présent, une conception plus particulièrement américaine par l’importance qu’elle attache aux sciences appliquées. Dans ce pays où l’industrie se développe à grands pas, où l’idée de progrès est inséparable de celle de science, où des usines ne cessent de sortir du sol, réclamant des techniciens, la place faite aux études désintéressées est forcément restreinte. Déjà du temps de Tocqueville, qui l’avait constaté, l’éducation tendait à ne poursuivre que « les applications dont l’utilité présente était reconnue. » Cet esprit utilitaire anime encore une trop grande partie des générations nouvelles. Faire vite, gagner vite, ou formule du « get-rich-quick, » tels sont les mots que l’on entend souvent sortir de la bouche des jeunes gens. » Pourquoi voulez-vous entrer dans une école de sciences ? « demandais-je à deux étudiants, rencontrés par hasard cet été au cours de mes vagabondages. — Pour être ingénieurs. — El pourquoi voulez-vous être ingénieurs ? — Parce que c’est la profession où l’on gagne le plus vite de l’argent, » répondirent-ils sans hésitation, et presque d’un même souffle. Si l’on écoute ces affamés d’argent, les écoles techniques et professionnelles seront bientôt jugées seules nécessaires pour l’éducation des hommes.

Ainsi cette pression de la vie moderne américaine, toute dans l’effort qui fait bondir de progrès en progrès sans jamais regarder en arrière, cette pression que je sens partout s’exercer