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sur cette Université issue d’une autre conception et gardienne d’un vieil idéal, je la retrouve encore qui agit cette fois sur l’organisation des programmes, par conséquent sur l’esprit même de l’enseignement. Finira-t-on par céder à l’utilitarisme qui va de pair avec les grands efforts industriels ? Là pourrait être un danger, d’autant plus grave qu’il se produirait en Amérique. Nous aussi, nous avons des utilitaires qui rêvent d’une éducation toute tendue vers le profit immédiat et pour qui préparer à un métier est un but suffisant. Mais leurs naïvetés pédagogiques se heurtent à des croyances ancrées dans l’esprit des Français et d’autant plus difficiles à détruire qu’elles sont le fruit d’une expérience ininterrompue. Ici, rien de semblable. Les traditions que veulent maintenir les vieilles Universités sont forcément instables, parce qu’elles ne plongent pas leurs racines dans le plus profond du pays. Jusqu’ici Yale a su concilier les exigences du progrès et le culte de la pensée pure. D’après les dernières statistiques, il y avait au Collège 1 303 étudiants et à Sheffield 1 016. Le goût de la culture pour elle-même n’a donc pas disparu. Mais il ne faudrait pas que la proportion fût renversée. L’on frémit à la pensée de ce que serait une Amérique où seuls les manieurs d’argent auraient leur mot à dire sur l’organisation de l’enseignement.


LES ÉTUDIANTS

Cependant le Campus s’anime. Quand je suis arrivé, il était désert et je pouvais, tout à mon aise, entre deux séances à la bibliothèque, promener au travers de ses pelouses reposantes mes rêveries d’étranger pour qui tout est matière à réflexion. Puis, un jour, j’ai vu rôder du côté d’Osborn Hall des figures juvéniles : c’était le moment des examens d’admission que Yale, dans son souci de bien recruter ses étudiants, a placés comme une barrière à l’entrée. Puis, des camions sont venus en trombe décharger des lits, des matelas, des bureaux, des malles devant les différents halls. Enfin, voici les étudiants qui font leur apparition, — les nouveaux ou freshmen, d’abord, tout désemparés, errant de çà et de là perdus dans leur étonnement ; les sophomores ensuite, l’air connaisseur ; et, en dernier lieu, les juniors et seniors, vétérans blasés pour qui la rentrée a perdu toute fraîcheur de nouveauté. Maintenant