c’est un va-et-vient continuel. D’un jour à l’autre, ce désert s’est peuplé d’une multitude circulant sur les passages dallés en files ininterrompues, qui, vues de loin, font songer à des chenilles processionnaires. Des « hullo « retentissants, poussés par des poumons vigoureux, sont échangés entre camarades heureux de se retrouver. Parfois un groupe composé du père, de la mère et d’un étudiant déambule avec lenteur, admirant bouche bée. Et à l’air attendri du père je devine que c’est quelque ancien Yale man conduisant son fils là où lui-même a passé sa jeunesse. Par les fenêtres des dormitories, on entrevoit des silhouettes qui vont et viennent, s’approchent du grand jour et disparaissent de nouveau dans l’ombre. Des gramophones commencent à nasiller et emplissent l’air de refrains populaires et de chansons comiques. A ce trait je reconnais que les étudiants sont enfin installés.
J’ai tout loisir d’observer ceux avec qui je vais maintenant vivre en commerce journalier. Et je suis frappé de voir combien le type classique de l’Américain est peu fréquent. En revanche, les spécimens de la race britannique abondent. Par moments, cette impression que j’ai eue tant de fois de me trouver transporté dans quelque collège anglais revient avec une irrésistible force. Ce jeune homme élancé et anguleux, aux cheveux châtain clair, et qui avance vers moi à grandes enjambées, une raquette de tennis à la main, est-il Américain, est-il Anglais ? Voici indubitablement un fils d’Ecossais, ce gros géant aux cheveux oxygénés et rebelles, aux yeux gris dans un visage couvert de taches de rousseur et comme ébauché à coups de poing. Les types étrangers ne sont pourtant pas absents. Ce petit brun, à la figure mobile et aux yeux qui luisent, à la peau basanée et aux gestes vifs, c’est, à ne pas s’y tromper, un descendant d’Italiens. Et cet autre, au corps massif, avec son front à triple étage surmonté d’une tignasse épaisse haut dressée, aux yeux vacillant derrière des lunettes rondes, quel beau modèle il ferait pour le caricaturiste Hansi ! Ou encore ce grand garçon svelte et blond, dont les yeux sont d’un bleu si tendre qu’ils semblent se liquéfier dans le visage aux traits réguliers et fins, peut-on douter une minute qu’il ne soit d’origine scandinave ? Mais ces représentants des nations tard venues en Amérique sont en somme peu nombreux ; ils sont perdus dans cette foule d’aspect si caractéristiquement britannique, malgré