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les modifications que le type primitif a pu subir. Évidemment, cette loi selon laquelle les descendants des colons anglais seraient ici la race dirigeante se vérifie une fois de plus.

Ces étudiants sont, pour la plupart, vêtus avec recherche. Peut-être n’ont-ils pas cette sobriété dans la mise qui fait de leurs cousins anglais les hommes les mieux habillés d’Europe. On voit trop de vestons exagérément cintrés, trop de cravates voyantes, trop de chaussettes de soie. Cette coquetterie confirme du moins un renseignement que l’on m’a donné : Yale est de toutes les Universités américaines celle où l’on reçoit le plus de jeunes gens riches. Autrefois, sa clientèle se recrutait en grande partie dans les familles du Sud. Depuis la guerre de Sécession, les étudiants viennent d’un peu partout. Mais c’est encore l’Université où l’on peut se créer d’utiles et flatteuses relations. Car, — et ceci, soit dit en passant, est une autre preuve de l’influence anglaise, — on ne vient pas à l’Université seulement pour travailler ; on y recherche aussi l’avantage de pouvoir nouer des amitiés avec ceux qui sont destinés à occuper un jour de hautes situations et dont l’aide pourra par suite être précieuse.

Cela ne veut pas dire, d’ailleurs, que les pauvres n’y aient pas accès. Je sais que, parmi ces étudiants, il y a un bon nombre d’hommes actifs, énergiques, pour qui la vie n’a aucune tendresse et qui voient précisément dans l’instruction le moyen d’échapper à la paralysante pauvreté. J’en ai eu une bien curieuse preuve au cours d’une de ces rencontres de hasard, si fréquentes dans ce pays de la familiarité. Un jeune homme qui avait appris que j’étais le professeur français, me voyant dans le Campus, était venu à moi et, sans façon, m’avait adressé la parole. Il avait fait partie de l’armée expéditionnaire, et il était heureux de trouver un Français : I like the French, me dit-il gauchement, mais avec un accent où tintait la sincérité. Nous avions causé de choses et d’autres, de ces sujets indifférents qui viennent naturellement à l’esprit de gens qui se voient pour la première fois et ne savent rien l’un de l’autre. Et la conversation s’épuisait en banalités, quand, pour battre en retraite, il tira sa montre et me dit : « Excusez-moi, il faut que j’aille prendre mon service. — Votre service ?… — Mais oui, répondit-il, étonné de mon étonnement, mon travail, si vous voulez. Je suis emballeur-homme de peine tous les jours de deux heures à