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pas de les railler. On leur jetait leur jeunesse à la face comme une honte : « My poor freshy ! My poor freshy ! » leur criait-on. Quand les insultes étaient peu endurants, c’était la riposte, puis les coups. D’autres sophomores, d’autres freshmen arrivaient et la bataille devenait générale. C’est cet état de guerre, aujourd’hui presque oublié, qui se rallume une fois par an dans fa lutte connue sous le nom de « rush » et qui a lieu traditionnellement pendant la première semaine de la rentrée.

Grâce à X., à qui ses fonctions dans un des bâtiments du Campus permettent d’être au courant de toutes les nouvelles, j’ai été averti du moment où doit avoir lieu la rencontre entre les deux plus jeunes classes. En raison des troubles qui ont éclaté au printemps, on ne veut pas donner aux éléments louches de la ville une occasion d’intervenir et les portes sont gardées par des forces de police. Pour passer, il faut montrer patte blanche.

Quand j’arrive, la nuit enveloppe déjà le Campus. Seules des torches tenues par des étudiants, projettent sur le fond d’ombre une lumière fumeuse, blafarde et dansante. Le vacarme est assourdissant. Des cris, des hurlements partent de tous côtés comme d’une foule en révolte, et cette clameur monte, descend et vient se briser sur les murs. Ce sont les deux classes qui se groupent et s’invectivent à la manière homérique. Enfin un certain ordre se met dans cette confusion. Deux masses se forment face à face, deux masses compactes où s’entremêlent des corps, des bras et de laquelle se détachent seules les boules mouvantes de centaines de têtes.

Sur le devant, chaque parti a placé ses hommes les plus vigoureux, de véritables géants, qui vont faire office de bélier. Et brusquement, dans un redoublement de cris, les deux masses se jettent l’une sur l’autre avec un élan fou. Le choc est formidable. Ces corps entrelacés qui font massue entrent dans les rangs opposés. On ne distingue maintenant qu’une agglomération d’hommes accrochés les uns aux autres qui luttent désespérément, tirent en tous sens, s’écroulent, se relèvent, écrasent, sont écrasés. Des bras raient l’air ; des chapeaux volent ; des vêtements sont déchirés. Parfois un des lutteurs que ses adversaires ont réussi à dépouiller s’échappe tout nu. Sa peau blanche sur laquelle danse la lueur indécise des torches, fait dans la nuit une brusque déchirure. Et il disparait, comme une trainée laiteuse,